Cet essai, véritable cri de douleur, se répercute sans jamais perdre de sa force dans l’espace restreint d’à peine plus que le nombre de pages requis pour faire un livre. Jacques Beaudry donne très peu ici dans le registre de la mise en garde, ou de l’appel au sursaut salvateur. Il s’agit bien plutôt de la description d’une déchéance, d’une chute dont le vortex nous entraîne à notre perte et dans lequel il s’agit d’adopter une posture dont la qualité ne vaudra peut-être que pour elle-même.
L’essayiste attribue au temps présent des caractéristiques assimilables au totalitarisme : « Ces particularités de notre époque (l’instinct de meute, la réalité pervertie, l’obéissance et les tueries) étaient aussi des caractéristiques de l’ère nazie ». Beaudry dénonce un monde où les « écrans qui nous absorbent vivants » nous empêchent de réfléchir, nous maintiennent dans une illusion de créativité qui n’est au fond que « massification des esprits ». Nous en serions aujourd’hui arrivés à un point où la réussite sociale et la reconnaissance sont tributaires du mensonge, de l’insensibilité et de la cruauté, au détriment de l’honnêteté et de la générosité. Nous serions engagés collectivement dans une spirale de violence à laquelle il semble de plus en plus difficile de s’opposer. « Depuis Auschwitz, nous n’avons jamais cessé de chercher des moyens toujours plus efficaces de tuer. » L’essai prend à partie l’humanité entière, où les individus, contrairement à ce qu’ils croient, sont réduits à des jouets de la technologie, transformés en « bouquet de réactions conditionnées ». Le jugement est sans appel et les mots pour le dire sont implacables.
Le vertige ressenti à la lecture du court essai laisse à la fin un goût amer. Entre autres, Jacques Beaudry fait montre d’un travers fréquent chez les esprits désabusés, qui consiste à voir dans l’État, en mesure de surveiller les « pensées coupables », une entité adverse, plutôt qu’un instrument à mieux s’approprier. Beaudry excelle à dépeindre la progression du mal, le glissement vers la barbarie. D’autres débusqueront dans l’état du monde les signes porteurs d’espérance, heureusement.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...