Tahar Ben Jelloun revient sur le racisme auquel il a consacré un essai en 1997 (Le racisme expliqué à ma fille). L’écrivain, membre de l’Académie Goncourt (la couverture de la collection « Blanche » le précise bien), renouvelle sa réflexion sur le sujet en exploitant le contexte marocain des dernières années : des milliers de Subsahariens séjournent dans des conditions misérables au sein de diverses villes du royaume afin de tenter la traversée vers l’Europe à partir du détroit de Gibraltar. Cette population, désormais partie du nombre considérable de laissés-pour-compte d’un pays où sévissent des écarts sociaux sévères, subit une discrimination due à la fois au racisme et à l’indigence. Or, le roman de Ben Jelloun explique, par la fable, que la stigmatisation de ces « nouveaux » Noirs du Maroc n’est que l’aboutissement d’un racisme historique, qui trouve ses sources dans les années 1940 à 1950, quand les « grandes » familles marocaines avaient des esclaves noires, souvent kidnappées dans leur pays d’origine, qui partageaient à l’occasion la couche du patriarche. Le héros de Ben Jelloun, lui, ne rapporte pas une esclave de ses voyages de commerce en Afrique noire, mais bien une belle Sénégalaise, Nabou, dont il est amoureux et dont il décide de faire sa deuxième femme légitime, bientôt mère de deux garçons, un Blanc et un Noir. Auparavant, Amir et Nabou contractaient des « mariages de plaisir » lors des courts séjours d’Amir au Sénégal, et Tahar Ben Jelloun a choisi le nom de ces brèves épousailles (présentées comme permises par l’islam) comme titre à son roman.
Il y a dans ce récit tous les ingrédients d’une saga familiale, à la fois dans les générations évoquées, dans la multiplicité des thèmes et dans les aventures vécues par les personnages. On regrette cependant que le tout manque d’ampleur. C’est un roman qui semble trop ambitieux en ce qu’il embrasse le racisme, et plus généralement le rejet de la différence, la place des femmes, l’immigration clandestine, les religions animistes et monothéistes, la contradiction interne d’un pays comme le Maroc déchiré entre tradition et modernité. Le roman veut trop en embrasser et ne se donne pas le temps de le faire de manière convaincante. On peut aussi être déçu par le côté racoleur du titre qui ne couvre tout compte fait que les toutes premières pages du récit, et qui ne s’explique que par le triste éclat donné au « mariage de plaisir » par l’actualité des djihadistes, dont on dit qu’ils se munissent de ce permis pour violer sans remords des jeunes filles.
On ne peut nier que ce texte fait une synthèse socio-historique neuve et importante de la particularité du racisme marocain et qu’il vaut le détour pour cette raison. Toutefois, on espère en le lisant que Tahar Ben Jelloun va peut-être prendre le temps, la prochaine fois qu’il aura un sujet aussi fécond, de nous donner un chef-d’œuvre. Il y a si longtemps.
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LE MARIAGE DE PLAISIR
- Gallimard,
- 2016,
- Paris
261 pages
35,95 $
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