Ce n’est qu’en 2014, soixante ans après sa mort, que le cryptologue britannique Alan Turing sort de l’anonymat, grâce au film de Morten Tyldum Le jeu de l’imitation (Imitation Game), avec Benedict Cumberbatch dans le rôle principal, film qui sera couvert d’éloges dans de multiples festivals. Quelques années plus tôt, en 2009, le Suédois David Lagercrantz avait déjà publié une biographie de ce héros de la Seconde Guerre mondiale, parue il y a peu en français sous le titre d’Indécence manifeste.
Autant le romancier Lagercrantz que l’informaticien Turing ont un côté sulfureux qui ajoute un peu de piquant dans cette histoire. Si le Suédois a été conspué par plusieurs lors de la sortie de son dernier livre, Millénium 4, Ce qui ne me tue pas, et accusé de n’être qu’un vil profiteur de la mort de l’écrivain-créateur Stieg Larsson, le mathématicien génial Alan Turing, quant à lui, a été accusé d’homosexualité et emprisonné, avant d’être chimiquement castré, selon la loi britannique de l’époque.
Le suicide en 1954 de celui qui est considéré comme le précurseur de l’intelligence artificielle n’a jamais été prouvé, mais tout porte à croire qu’humilié d’avoir été banni de la société, il aurait mis fin à ses jours. « Une vieille fille, voilà ce qu’ils veulent faire de moi. […] Je n’aurais pas dû m’étonner quand ils ont commencé à chasser mon beau Norvégien », écrit-il dans une lettre.
Turing a été réhabilité en 2013, lorsque la reine Élisabeth II l’a gracié en signant un acte royal de clémence, sous la pression de plusieurs scientifiques, dont Stephen Hawking.
Le polar historique de Lagercrantz commence avec la mort de Turing, retrouvé étendu sur son lit, une pomme empoisonnée au cyanure à ses côtés, sans aucun message d’adieu. Le jeune inspecteur Leonard Corell, un des rares personnages fictifs du thriller, mène l’enquête. Il découvre le rôle qu’a joué Turing durant la guerre, en inventant et en fabriquant une machine capable de casser les codes de cryptage nazis, accélérant ainsi la victoire des Alliés. Tout en tentant de reconstituer le parcours du mathématicien, Corell revient sur sa propre vie, ses erreurs, ses douleurs, ses projets d’avenir. Il conclut, en épilogue : « J’aurais tellement aimé que ce fichu logo [d’Apple] ait été la pomme d’Alan [Turing]. Mais voilà, il paraît que ce n’est pas le cas ».
Amateurs de meurtres et d’actions fortes s’abstenir, car Lagercrantz amène plutôt ses lecteurs à réfléchir sur cette période trouble de l’après-guerre, où se croisent mathématiciens et philosophes, qui analysent autant le paradoxe du menteur (paradoxe d’Épiménide) que le communisme ou l’évolution des mœurs. Bien documentée, quoique lente à démarrer, l’histoire rend hommage à un des pères de l’informatique, un héros des temps modernes.
INDÉCENCE MANIFESTE
- Actes Sud, Arles/Leméac,
- 2016,
- Arles
375 pages
39,95 $
Trad. du suédois par Rémi Cassaigne
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