On n’imagine pas Alberto Manguel autrement que curieux de nature, comme le sont sans doute la majorité des lecteurs inassouvissables. Et lorsque cette curiosité se voit doublée d’une insatiable boulimie (dans le cas qui nous occupe, le pléonasme est pour le moins véniel) de trouver réponse à tout, voire de formuler toute question pertinente susceptible d’éclairer le pourquoi de notre présence en ce monde, elle frôle le vertige et nous entraîne dans une spirale sans fin. À l’exaspération de parents devant affronter les pourquoi de l’enfant succède ici l’ivresse du savoir.
« Je suis curieux de la curiosité », nous dit d’emblée Alberto Manguel. Citant Montaigne, figure emblématique de son propre parcours, il adopte très tôt ce « permanent état de questionnement du territoire au travers duquel s’avance (ou s’est déjà avancé) notre esprit, ainsi que du pays inconnu au-delà » et dénonce par la même occasion la vision réductrice des institutions d’enseignement qui sacrifient aujourd’hui le libre exercice de la pensée et de l’imagination aux soi-disant efficacité et utilité matérielles d’un savoir au service des entreprises. S’appuyant sur la représentation graphique du premier symbole illustrant un point d’interrogation qui ressemblait à un escalier, Manguel ne craint pas d’affirmer : interroger nous élève !
Le nombre de questions auxquelles s’intéresse Alberto Manguel constitue ici une liste fermée (puisque publication il y a), mais elles se déploient à l’infini, chacune d’elles a ses ramifications propres, comme se déployait la bibliothèque si chère à Borges, qui fut aussi l’un de ses maîtres à imaginer. Que voulons-nous savoir ? Comment raisonnons-nous ? Comment voir ce que nous pensons ? Qu’est-ce que le langage ? Que faisons-nous ici ? Quelles sont les conséquences de nos actes ? Comment mettre les choses en ordre ? Pourquoi les choses arrivent-elles ? Qu’est-ce qui est vrai ? Voilà autant de questions ici soulevées qui en libèrent quantité d’autres. Comme le précise Manguel, « [i]l n’y a aucune progression évidente entre ces questions, pas de hiérarchie logique, rien n’indique qu’on peut y répondre. Elles procèdent de notre désir de savoir… »
Tout lecteur découvre, un jour ou l’autre, un livre qui répond, en tout ou en partie, à une sorte d’idéal de condensé du savoir. Un livre que l’on garde précieusement à portée de main pour s’y replonger dès lors que le doute rejaillit dans notre esprit, le doute ayant ici valeur d’exploration, de confirmation que rien n’est immuable, ne répond à quelque loi qui assujettirait la conscience humaine à un cadre externe à sa volonté propre. Ce livre peut même accompagner ou précéder d’autres livres, ou leur succéder, voire les compléter ou les contenir tous à la fois. Pour Alberto Manguel, La divine comédie de Dante représente le Saint des saints du savoir imaginé par l’homme et c’est à l’aune de ce poème qu’il nous invite à nous interroger à notre tour sur les expériences qui parsèment nos parcours de vie. De la curiosité se veut en quelque sorte un hommage rendu par Manguel à Dante, un tribut à l’œuvre maîtresse de ce dernier qui propose une synthèse éclairée du monde, de sa mécanique et des aspirations humaines. Certes, on ne se lance pas dans une telle lecture sans avoir au préalable une certaine prédisposition pour la découverte. Gens pressés, s’abstenir.
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