La liste est interminable, et aucun champ d’activité, politique, sportif, médiatique ou artistique, religieux même, aucun n’est épargné par les récents scandales à caractère sexuel. Sklavounos, Aubut, Charest, Ghomeshi, Jutra, Trump ou Cosby. Et tous les autres, riches ou influents, connus ou quidams, que le système protège malgré leur turpitude, dans un déni de justice qui se perpétue.
Les nerfs sociaux sont à vif, lance Nancy B.-Pilon, l’instigatrice de cet ouvrage collectif « polyforme » sur la culture du viol. Elle a réuni dix-sept femmes et hommes, la plupart jeunes trentenaires, pour penser, dire, tordre le cou s’il le faut à cette abjecte réalité qu’on tente, à intervalles réguliers, de pousser sous le tapis. Cette jeune et tonique protestation attise le vieux et ardent désir de remédier à ce désordre de civilisation. Mais la marche de l’histoire est longue, faut-il se rappeler pour ne pas désespérer.
Que sait-on de nouveau sur la noirceur du crime ? Chose certaine, Sous la ceinture, ça fulmine, ça hurle, ça rage. La prof de philo Véronique Grenier crache son dégoût : « Je est de la viande ». Des éléments d’analyse projettent un éclairage neuf sur le spectre qui hante les femmes depuis que le monde est monde. D’abord, la notion de consentement, logée au cœur du contentieux, est défendue dans plusieurs textes de manière plus large qu’auparavant. Le consentement ne se pose qu’au féminin, ou presque. Un homme n’y est que rarement confronté. Change-t-il d’idée, il enfile son pantalon. Aussi simple. Pour une femme, c’est plus complexe. Ses gestes la laissent-elle de glace, ou pire, la glacent-elle ? Ne désire-t-elle qu’un baiser sans devoir baiser ? Le consentement doit pouvoir se donner et se reprendre jusqu’au dénouement de l’acte. Pour une femme, oui, c’est autrement plus complexe. Et ce n’est pas qu’affaire de muscles. C’est affaire de société. C’est une hydre ! C’est une pieuvre ! C’est un tentacule empoisonné. Qui instille le mépris et la haine. Qui tue. L’estime de soi. L’innocence et la confiance. La vitalité. La vie, parfois.
Certains récits divulguent le viol perpétré par l’amoureux, le meilleur ami ou un proche de la famille. Un homme, l’auteur Samuel Larochelle, jette une lumière crue sur un incident personnel. Quelques autres se dévoilent. Enfin. Et leur parole apporte au recueil une plus-value, comme celle du Blanc qui, prenant la défense du Noir, est plus audible et plus crédible. Injuste, direz-vous. Hélas, il en va ainsi.
Une des voix fortes de ce recueil, celle de Jennifer Sidney, souligne une idée majeure : « Nous perdons trop de temps à essayer de comprendre pourquoi une femme […] est restée dans une relation abusive, et n’en passons pas assez à nous demander pourquoi l’homme est si violent ». Le rappeur Koriass lui fait écho : il faut enseigner l’humanité aux garçons. Grenier se fait plus directe : ils sont responsables de leur pénis et ce dernier vient avec l’option « ne viole pas ».
Attention, la culture du viol n’est pas le viol. Elle est cette tactique sournoise qui l’inspire, le suggère, l’encourage. Un blogueur qui propose de légaliser le viol. Un coquetel baptisé GHB, la drogue du viol, dans un bar montréalais. La « congrégation des imbéciles » qui sous-entendent qu’elles l’ont cherché. La banalisation, voire l’érotisation des agressions sexuelles. La porno au bout des doigts qui façonne toujours un peu plus les relations intimes. La croyance que les pulsions des hommes sont incontrôlables, et que partant les agressions sexuelles sont une quasi-fatalité.
En complément de Sous la ceinture, lecture qu’on ne saurait trop recommander aux deux sexes, il y a la magistrale enquête de la journaliste Susan Brownmiller, intitulée Le viol. Question de profondeur de champ. Question d’identification claire de la vraie nature de la culture du viol et de son terreau fertile, le patriarcat.
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