Entrer dans un roman de Louise Erdrich, c’est se laisser prendre par la main et quitter le monde tel qu’on le connaît pour pénétrer dans des univers insolites où se mélangent souvent le réel et le merveilleux. Le pique-nique des orphelins ne fait pas exception à la règle. Sur des prémices qui pourraient augurer du pire mélo, elle tisse une tapisserie chatoyante sans jamais tomber dans le misérabilisme.
Nous sommes à Argus, un bled perdu du Dakota du Nord, au début des années 1930. Un jour, Karl et sa sœur Mary, âgés respectivement de quatorze et onze ans, sautent d’un wagon de marchandises pour trouver refuge auprès de leur tante Fritzie après que leur mère les a abandonnés en s’envolant avec un aviateur lors d’une fête foraine. Mais Karl repart aussitôt, laissant sa sœur face à l’inconnu. Ainsi commence la chronique de Mary Adare et de son univers, chronique qui s’étendra sur une quarantaine d’années.
Acceptée et aimée dans sa famille d’adoption, Mary deviendra, au fil du temps, une femme forte, indépendante et qui ne s’en laisse pas conter. Elle reprendra la boucherie de l’oncle Pete et de tante Fritzie, secondée en cela par Célestine, une Amérindienne chippewa, son amie d’enfance et son plus solide soutien. À ce duo, il faut ajouter Sita, la cousine de Mary qui rêvait de devenir mannequin mais qui finira par sombrer dans la névrose et la neurasthénie.
Autour de ce trio de femmes graviteront des personnages tantôt flamboyants, tantôt brisés : Karl, le météore à l’apparition intermittente, devenu mi-représentant de commerce, mi-vagabond ; Russell, le demi-frère de Célestine, héros de guerre revenu du combat handicapé ; Wallace Pfef, l’amant vaguement honteux de Karl, enrichi par la culture de la betterave ; et surtout Dot, la fille entêtée et violente qu’ont eue ensemble Célestine et Karl à la suite d’une courte union et sur qui tout le monde veille.
Roman choral d’un lyrisme dénué de tout sentimentalisme et construit sur des regards croisés comme en un jeu de miroirs où se réfléchissent petits événements et grandes tragédies, Le pique-nique des orphelins se présente finalement comme la galerie de portraits de quelques admirables femmes fortes et des hommes, plus faibles, qui leur font escorte. Paru en français pour la première fois en 1988 sous le titre de La branche cassée et proposé ici dans une nouvelle et remarquable traduction d’Isabelle Reinharez, ce roman fait, une fois de plus, la démonstration de l’immense talent de Louise Erdrich, qui la situe parmi les plus grands auteurs américains contemporains.
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