Amateur de jazz de longue date – il a signé en 1994 dans la revue Liberté un article intitulé « Aimez-vous le jazz? » –, Mauricio Segura fait revivre dans ce nouveau roman la figure du célèbre pianiste Oscar Peterson. On ne s’étonnera pas que ce Montréalais d’origine chilienne, qui a été analyste pour la commission Bouchard-Taylor, place, de façon aussi vivante que pertinente, son héros dans la communauté culturelle dont il fait partie. L’auteur de Côte-des-Nègres ne passe pas sous silence les épisodes racistes qui ont ponctué la vie du musicien. Le premier se situe dans l’enfance d’Oscar, à l’hôpital où il séjourne pendant un an, car il a contracté la tuberculose, cette « peste blanche » dont son frère Brad vient de mourir. Marguerite, une fille de race blanche, qui partage avec lui la même passion pour la musique, est déplacée à la demande de ses parents, qui ne voyaient pas d’un bon œil son amitié avec un Noir.
C’est à cette époque qu’O. P. – alias Oscar – commence à s’intéresser au clavier, son premier instrument de musique ayant été la trompette. La faiblesse de ses poumons ne lui a pas laissé le choix. Le jeune musicien acquiert vite une extraordinaire virtuosité et devient l’idole du quartier caribéen dans lequel habite la famille. Mauricio Segura brosse un portrait très coloré de ces rues où flotte l’odeur du poulet « jerk » et où résonne le juron « Bloodseed ».
Oscar reçoit des critiques élogieuses et enregistre un premier disque, mais sa situation financière devenant précaire, il doit travailler pendant quelque temps comme débardeur. Souffrant de dépression, il s’apprête à se jeter dans le canal après avoir rempli de cailloux les poches de son imperméable lorsque apparaît, tel un ange salvateur, celui qui va devenir son imprésario, Norman G. Il s’agit évidemment de Norman Granz, qui a donné au jazz ses lettres de noblesse en faisant jouer « ses » musiciens dans des salles de concert réservées auparavant à la musique classique. Il impose aussi la mixité, ce qui représentait un véritable défi dans l’Amérique ségrégationniste. Quant à O. P., fervent adepte du métissage, il intègre dans son trio un musicien blanc, Herb Ellis, et épouse Marguerite, son ancienne compagne d’hôpital, qu’il a retrouvée grâce à son imprésario.
Mauricio Segura fait partager au lecteur aussi bien la vie personnelle agitée – mariages, divorce, enfants – que la vie professionnelle de celui que Duke Ellington a surnommé le maharadja du piano. Premier Noir à avoir donné un concert à Carnegie Hall, Oscar poursuit sa carrière, quels que soient les styles qui se succèdent. Diminué après « une attaque », il suit un programme de rééducation et parvient à donner encore des concerts.
Voilà un livre écrit par un remarquable prosateur, qui joue avec les mots comme le faisait le célèbre jazzman avec les notes.
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