La publication d’un roman inédit d’Arthur Schnitzler (1862-1931), contemporain de Freud et de Zweig et figure incontournable de la modernité viennoise, est un événement en soi. Les mots : « Une découverte sensationnelle », apposés sur un bandeau publicitaire de l’édition originale allemande en 2014, n’avaient donc rien d’exagéré. Conservé sous la forme d’une copie dactylographiée après la mort de l’auteur, à l’intérieur d’un fonds posthume qui échappa de peu aux nazis en 1938 (la postface retrace l’historique du texte), Gloire tardive date en fait de 1894-1895. Schnitzler avait déjà publié quelques textes importants, dont le drame en un acte Anatole (1893), mais la plupart de ses écrits les plus marquants restaient à venir (La ronde en 1897, Vienne au crépuscule en 1907, Mademoiselle Else en 1924 et surtout La nouvelle rêvée en 1926). Qu’à cela ne tienne : Gloire tardive n’a rien d’une œuvre de « débutant ». La subtile ironie et les fines observations psychologiques dont le récit est empreint en font un véritable bijou.
Le récit rapporte l’adulation soudaine (et trompeuse) dont est l’objet Edouard Saxberger, un vieux fonctionnaire viennois. Auteur d’une seule œuvre poétique, Les promenades, publiée 30 ans plus tôt dans l’indifférence générale, le paisible bureaucrate devient l’idole d’un groupe de jeunes gens, le cénacle « Exaltation », qui l’invite à une lecture publique en espérant qu’il y présente un fragment inédit. Le titre est vite trouvé : « Impressions du soir ». Or Saxberger, qui n’a pas taquiné la muse depuis des lustres, se met rapidement à angoisser à l’idée d’écrire un nouveau poème…
En plus de tisser parfaitement les ficelles de son récit, Schnitzler trace un portrait moqueur mais gentil de ses contemporains. Le cercle « Exaltation » est en effet calqué sur le mouvement Jeune Vienne, qui avait ses habitudes au café Griensteidl, près du palais impérial, et qui comptait dans ses rangs, outre Schnitzler lui-même, certains grands représentants de la modernité viennoise : Peter Altenberg, Hermann Bahr et, encore adolescent, Hugo von Hofmannsthal. L’un des personnages les plus fascinants de Gloire tardive est Mlle Ludwiga Gasteiner, probablement inspirée de l’actrice Adele Sandrock (1863-1937), qui fut un temps la maîtresse de Schnitzler. Bref, des inédits de la trempe de celui-ci, on en prendrait constamment.
GLOIRE TARDIVE
- Albin Michel,
- 2016,
- Paris
158 pages
30,95 $
Trad. de l’allemand par Bernard Kreiss
Loading...
Loading...

ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...