Duddy Kravitz n’a pris aucune ride depuis sa venue au monde il y a un demi-siècle. En revanche, peut-être l’épiderme québécois a-t-il gagné quelques millimètres sur le front de la tolérance et de l’humour. Il fut un temps, en effet, où certaines susceptibilités gardaient rancune à Mordecai Richler de ce qu’elles percevaient comme un mépris viscéral de la francophonie d’ici. Par inaptitude à rire de soi, certains ne parvenaient pas à lui pardonner les piques censément systématiques dont il torturait le Québec. À le lire sans ce filtre, on aurait dû admettre dès cette époque que Richler répartissait assez équitablement sa détestation de la sottise ; c’est aujourd’hui chose faite et plus rien n’empêche de l’admirer comme un des maîtres de l’humour.
Chose certaine, L’apprentissage de Duddy Kravitz démontre à l’évidence que l’auteur ne taquine aucun groupe culturel autant que le sien. Fief juif de l’après-guerre, la rue Saint-Urbain enseigne au jeune Duddy ce qu’on nommerait pudiquement débrouillardise et plus crûment rouerie. Très tôt, l’adolescent s’investit dans la traque de l’argent, multiplie les mensonges et les astuces, gravit à pas pressés les échelons qui conduisent de la petite rapine à la juteuse et grandiose arnaque. Scrupule ? Connaît pas. Honte ? Rien ne la justifie puisque Duddy ne lit dans l’environnement que ce qui conforte sa voracité.
Richler ne ménage personne. « Il dit de ne pas m’en faire si je ne suis pas admis à McGill : c’est un repaire d’antisémites. » « L’incendie s’était déclaré la veille, écrit-il encore. Mel l’avait vu venir puisque, dans l’après-midi, son père lui avait dit gaiement : ‘Vous dormez chez mémère, cette nuit.’ Pour Mel et son frère, une nuit passée chez mémère signifiait un nouvel incendie et un nouveau magasin. » Changer de décor ne change rien : « Il [M. Friar] dit à Duddy que, pour commencer, ils devaient acheter leur propre caméra, mais louer tout le reste. Il ajoutait qu’il connaissait du monde au sein de l’Office national du film, à Ottawa, et qu’on lui permettrait sûrement d’y développer la pellicule et d’y monter les films ». Alors, puisque ainsi va la vie…
La splendide traduction offerte par Lori Saint-Martin et Paul Gagné respecte bellement l’allant de Richler. Particulièrement dans les dialogues, le naturel règne, désarme, séduit.
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