On pourrait considérer cette parution comme le premier « vrai livre » de Fabrice Luchini, après le « livre lu », Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Les chapitres de Comédie française s’apparentent à une promenade littéraire et parfois à un journal de tournage – dans ce cas, en préparation du long métrage Ma Loute (2016) de Bruno Dumont. Mais au lieu de décrire son travail au présent, l’acteur recompose ses souvenirs et formule des anecdotes en se permettant moult digressions, pour notre plus grand plaisir. Le titre ne se veut pas une évocation de la fameuse salle parisienne mais plutôt un rappel du panthéon livresque de l’acteur, de Molière à Sacha Guitry. Comme dans ses spectacles intimistes où il apparaît seul sur les planches, Fabrice Luchini peut s’amuser à recomposer à l’infini une phrase, une expression, un cliché, en leur insufflant une multitude de significations et de contrastes, uniquement en en modifiant le contexte à l’infini. Ainsi, il répète « Tu te dérobes ? » pour marquer successivement, selon les circonstances, le téméraire d’une situation ou l’entêtement qu’il suggère emphatiquement.
Le style de Fabrice Luchini séduit par ses confessions presque rousseauistes : « Le théâtre a été un miracle. Je souffrais de cette anxiété très grande qui faisait que je prenais beaucoup trop de place, que j’étais égocentré et incroyablement narcissique ». D’autres passages reprennent de longues citations d’auteurs fétiches comme Rimbaud, Nietzsche, Céline ou encore ce grand théoricien du théâtre qui n’en revendiquait pas le titre, Louis Jouvet.
Pour ceux qui ont vu son inoubliable spectacle Le point sur Robert (réédité au Québec sur DVD par le réseau TVA), Fabrice Luchini reprend dans le livre son fameux monologue relatant sa première rencontre avec le célèbre professeur Roland Barthes. Si le texte ne conserve pas toujours l’éclat des répliques déclamées avec une diction inimitable ni l’effet comique des répétitions scandées qui sont la signature de ce géant de la scène, on savoure néanmoins la texture des mots scandés et son admirable éloquence en maints endroits. En outre, l’édition québécoise contient une présentation exclusive pour les lecteurs québécois (dans la version publiée par Flammarion Québec) : « Je n’ai jamais vu nulle part une telle résistance, un si fort génie de vitalité pour la langue ». Quelques imprécisions auraient dû être corrigées par l’éditeur, par exemple lorsque l’acteur se trompe d’année : « 1985. Soudain, comme par miracle, Rohmer me convoque et me donne le rôle d’Octave dans Les Nuits de la pleine lune ». En fait, ce film est sorti l’année précédente. Mais cette vétille ne diminue en rien un ouvrage par ailleurs éblouissant. Déjà, nous attendons le prochain livre de Fabrice Luchini, en espérant qu’il s’agisse d’un roman.
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