Même si le mystère a été plusieurs fois sondé et bien sondé, Olivier Courteaux en propose un réexamen utile et renouvelé : pourquoi le Canada ménageait-il Vichy ?
Au cœur de l’examen, un premier ministre canadien, Mackenzie King, cent fois accusé d’aboulie ; Courteaux l’observe avec plus de nuances. En revanche, il se montre d’une sévérité justifiée pour le diplomate et entremetteur Pierre Dupuy ; l’homme, qui ressuscitera lors de l’Expo universelle de 1967, sort de l’évaluation dépouillé de toute crédibilité. Si, des personnalités, on passe aux États confrontés à l’alternative Pétain-de Gaulle, le travail de l’auteur est, à cet égard également, éclairant et original ; Londres, Vichy, Washington, Ottawa agissent tantôt à ciel ouvert, tantôt en coulisses, préférant souvent téléguider l’action d’un tiers pour ménager leur opinion publique ou désarmer l’opposition politique.
De King, les Canadiens eux-mêmes ne connaissent que la caricature. Qu’il ait recouru aux tables tournantes pour continuer à prendre conseil auprès de sa mère décédée, cela, pour beaucoup, le résume et le rend ridicule. Ceux qui en savent un peu plus long le perçoivent comme un velléitaire louvoyant entre les bouées. Courteaux préfère consulter les documents : il en tire de quoi étoffer et rectifier le bilan de King. L’homme est prudent et craint le risque, mais ses choix se défendent. Si opter clairement pour Vichy ou la France libre compromet l’unité canadienne en dressant le Québec et le Canada anglais l’un contre l’autre, King s’abstiendra de trancher. Si rompre avec Vichy risque d’indisposer Londres ou Washington, mieux vaut, pense-t-il encore, attendre une synchronisation qui finira bien par venir. King avait-il tort ? Ses fonctionnaires, selon Courteaux, jugeaient sa prudence excessive, mais le Canada abordera l’après-guerre en assez bonne entente avec deux alliés souvent en désaccord ; ce n’est pas négligeable.
Le portrait de Pierre Dupuy que brosse l’auteur contredit celui de King : vaniteux, agité, bavard, Dupuy se considère comme le cadeau de Dieu à la diplomatie canadienne. Incapable de prudence et plus encore d’étanchéité, il indisposera tout le monde. Exit Dupuy.
Courteaux, à petites lueurs dûment reliées, jette une clarté inédite sur les mésententes feutrées, mais réelles entre Londres et Washington. Churchill, Cassandre moderne, comprit plus vite et plus nettement que Roosevelt les mérites du général de Gaulle. Malgré tout, le fringant Churchill finit par imiter le comportement de King : il plaida, insista, supplia, mais il dut, lui aussi, attendre le bon plaisir de l’Oncle Sam.
Plausible reconstitution des arbitrages dont dépendit le monde.
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