On le savait malade, très malade, mais la mort du grand écrivain suédois Henning Mankell en octobre dernier en a endeuillé plus d’un et je fais partie du nombre. Hasard ou pas, paraissait au même moment en version française le bouleversant Sable mouvant, que le romancier a écrit pendant ses traitements de chimiothérapie. Il avait reçu un diagnostic de cancer incurable en janvier 2014, il aura eu dix-huit mois de répit, assez de temps pour partager une dernière fois des souvenirs d’enfance et des moments-clés de sa vie d’adulte, assez de courage pour affronter l’angoisse de l’incertitude. « Tel est l’objet de ce livre. Ma vie. Ce qui a été, et ce qui est. […] Même si la guérison était impossible, je pouvais encore vivre longtemps. » Cette pensée l’aura tenu debout.
Le maître du polar est aussi l’auteur de plusieurs romans, ouvrages pour la jeunesse et pièces de théâtre, mais il est surtout connu pour sa série d’intrigues policières vendues à plus de 40 millions d’exemplaires. Mankell a créé le personnage de Kurt Wallander en 1989 – un policier bourru et dépressif, un humaniste qui se considère comme un peu raté –, un alter ego qui comme lui est né en 1948 et habite la Scanie, au sud de la Suède. Dans Une main encombrante, l’écrivain précisait : « Je m’étais dit que j’allais créer un personnage […] qui évoluerait sans cesse, mentalement et physiquement. Moi-même je n’arrête pas de changer ; alors ça allait être pareil pour lui ».
Tout au long de Sable mouvant, au-delà des touchantes réminiscences introspectives, l’auteur autodidacte revient sur ses convictions et ses préoccupations sociales ou politiques envers les laissés-pour-compte, que ce soit en Afrique ou en Suède. Sa plus grande inquiétude et son infinie tristesse demeurent sans contredit l’étendue des désastres environnementaux que connaît aujourd’hui la planète Terre. Revient ainsi en leitmotiv son incompréhension à l’égard du projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Onkalo, en Finlande, « pour une durée indéterminée. Qui ne doit pas être inférieure à cent mille ans ». Une éternité. Qui sera encore vivant dans « trois mille générations humaines » et quels souvenirs l’habiteront ?
Mankell était un être de justice et de compassion, qui durant toute sa vie aura mis son intelligence et ses talents d’écrivain au service des plus démunis. Parfois, il fallait lire son engagement entre les lignes des histoires qu’il nous livrait ; il fallait aller plus loin que le simple compte-rendu d’un meurtre que Wallander devait résoudre. Les quelque 350 pages de son testament nous rappellent non seulement sa grande culture, qu’il communique délicatement, sans jamais l’étaler, mais surtout à quel point il était toujours habité par l’espoir et le plaisir de vivre.
Les aficionados de Mankell ne pourront qu’apprécier son ultime témoignage, ses derniers enseignements. « Nul ne peut me voler la joie de créer moi-même ou de prendre part à ce que d’autres ont créé. »
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