Auteure de trois recueils de poésie et lauréate du Prix Robert-Cliche 2012 avec Hunter s’est laissé couler, Judy Quinn nous invite avec son deuxième roman à une incursion dans l’Ukraine de Vasyl Dranenko à l’époque du régime soviétique. Une Ukraine que Vasyl a fuie, avant de se retrouver à Montréal où il vit depuis trente-cinq ans.
La trame narrative repose presque entièrement sur les souvenirs qu’évoque le quinquagénaire, passager de l’autobus Orléans Express Montréal-Québec. Il dit aller embrasser son fils Tallik, soldat sur le point de s’envoler de la base de Valcartier pour l’Afghanistan. Pendant le trajet, à part quelques incartades auprès de sa voisine de siège qui n’apprécie pas l’intrusion de l’homme encombrant avec son goûter gras et son alcool, Vasyl se remémore sa vie d’avant l’exil. Stara Bouda, village reculé de son enfance, Kiev et l’entrepôt de viande, puis l’Académie nationale des arts populaires où il était travailleur de nuit. Finalement, Odessa et la vie clandestine d’où il a fui à bord d’un paquebot partant pour Marseille. Une vie d’esclave, sans espoir d’améliorer son sort, avait résumé sa cousine Selena, elle-même confinée dans une usine. Ou de trafiquant véreux comme l’ami alcoolo Pavel, sans parler des manœuvres du policier Vassia/Panine.
On retrouve le type de composition de Hunter s’est laissé couler : des souvenirs s’enfilent, sans ordre chronologique et déclenchés par on ne sait quoi. On avance comme dans un puzzle, en se demandant où mèneront ce qui apparaît comme une suite de divagations de buveur.
Mais de cette histoire trouée se dégage progressivement une ébauche de portrait de famille, de même qu’un éclaircissement sur le motif de la fuite de Vasyl hors de son pays natal. De l’embrouillamini surgissent ici et là des réflexions qui apportent des réponses aux questions que l’on pouvait se poser en cours de lecture. Par exemple, quant au lien entre les souvenirs anciens de l’Ukraine et les plus récents au sujet du fils Tallik : « On fuit une dictature pour un pays qui envoie ses enfants dans une guerre sale […]. On fuit une dictature pour un pays qui travaille à continuer les dictatures, et cela nous épuise rien que d’y penser. » De quoi faire oublier des retrouvailles inattendues, vers la fin du roman, qui apparaissent dues bien plus à l’intervention d’un deus ex machina qu’à la logique du récit.
Les mains noires, un roman qui suscite l’intérêt pour sa saisie des conditions de vie dans une Ukraine alors sous régime totalitaire.
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