Jean-Louis Major aime conter des histoires. C’est ce plaisir qui donne son charme, fût-il précieux et un peu vieillot, à ses onze Contes inactuels. L’esprit n’est pas sans rappeler celui de ses recueils précédents, Mailles à l’envers (Fides, 1999) et Contes par-ci par-là (Fides, 2001). Le titre donne la tonalité : ces contes sont peut-être (à première vue, pourrait-on ajouter) « inactuels », « mais non moins vrais que tout ce qui se colporte sous le couvert de l’actualité ». Le tout avec une touche d’humour, quelques commentaires satiriques, des personnages parfois aux frontières du merveilleux. Et une langue maîtrisée qui joue avec la structure des phrases, les reprises et les modulations d’expressions et de mots.
Major a placé son recueil sous l’égide de Montaigne, dont il cite en exergue de son avertissement la phrase suivante : « Qui ne se sent point assez ferme de mémoire ne se doit pas mêler d’être menteur ». Reste à déterminer si le conteur est un menteur.
Les dédales de la bureaucratie et leur aspect kafkaïen nourrissent quelques contes, et s’ils ne renouvellent le propos, ils suscitent néanmoins sourires et soupirs. Ainsi en est-il de ce pauvre être, « Un honnête contribuable », déterminé à rendre à qui de droit une pièce de monnaie, découverte par hasard, ne comportant qu’une seule face. Histoire qui nous mène directement à la suivante, « Monnaie de singe », où la monnaie cède la place à la dîme, et pas pour la grande édification de l’Église.
Société qu’on retrouve dans « Foi de cordonnier », un conte très moral (mais pas moraliste pour autant) qui traite de la relation directe entre la détérioration de la qualité des chaussures et le développement du capitalisme de type sauvage. Il ne restera plus qu’à notre pauvre cordonnier de réparer les outrages sociaux au Paradis, sous le principe « que ce qui ne va pas d’un bord peut s’arranger de l’autre ». Dans un autre registre, « Poigne de fer et tête de pioche » est une riche leçon de vie. Il raconte l’histoire d’un enfant, victime de la poigne de son père, découvrant que cette poigne est le fruit de l’humiliation de cet homme au travail. Comme une respiration, « Un notable en poésie », mettant en scène le vénérable Adolphe-Basile Routier, permet à Major d’écrire qu’il « faut être bien rompu à la logique des lois et des honneurs pour dire sans rire : car ton bras sait porter l’épée, il sait porter la croix ». Ce qui est un bon exemple du type d’humour de ces contes.
Si les textes courts sont amusants, attendrissants et piquants, les deux plus longs auraient peut-être gagné à être allégés. Les trouvailles en bonne partie formelles, pour judicieuses qu’elles soient, perdent de leur pertinence dans la dilution.
Il n’en demeure pas moins que Major a une plume bien aiguisée, qu’il sait manœuvrer phrases et idées et qu’on peut, sans ambages, le placer parmi les stylistes les plus classiques. Montaigne n’aurait pas dédaigné y jeter un œil.
CONTES INACTUELS
- L’Interligne,
- 2015,
- Ottawa
65 pages
12,95 $
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