Autoproclamé « technicien-coiffeur », Bertrand Laverdure revêt entre autres chapeaux ceux de poète, de romancier et de blogueur. Imperméable aux conventions et peu soucieux des pratiques à la mode, l’écrivain préfère ramer à contre-courant. C’est du moins ce que donne à penser son dernier livre, un essai à la forme unique en son genre, une bien drôle de bibitte, comme on dit. En l’an de grâce 2115, un cyborg écrivain de première génération doit enseigner la mort à un spécimen de l’espèce T*****-*****-879, modèle de robot dernier cri « né » des avancées en intelligence artificielle. Si les prémisses adoptées suggèrent une fiction d’anticipation, « doctor death » propose également une leçon d’anthropologie, de philosophie et de littérature, un petit manuel à l’usage de l’humain 100 % organique.
Campé à l’ère du capitalisme numérique, l’univers dystopique de Laverdure joue à fond la carte de la robotisation de l’homme, amorcée dans les années 2000 avec l’apparition massive des réseaux sociaux et des téléphones « Android ». La stratégie du futur et l’allégorie robotique sont bien sûr un leurre narratif, une façon détournée d’aborder l’angoisse millénaire de l’homme devant la mort. Les détours sont d’ailleurs légion, car l’enseignement de la mort dévie vers des sujets connexes : il n’est possible qu’à la condition d’une conscience de soi qui repose sur l’usage d’une langue et l’appartenance à une culture. La fonction sociale de l’écrivain, dont l’empreinte survit à ses contemporains, est d’ailleurs de protéger cet héritage.
Que la mort provoque peur et stupeur ou déchaîne le rire carnavalesque, elle demeure un des plus grands gestes de solidarité : l’homme meurt afin de perpétuer l’humanité. Dans le cas contraire, la Terre ne pourrait souffrir les désastres environnementaux occasionnés par la surpopulation. Geste démocratique par excellence, la mort n’oublie personne. En effet, quoi de plus trivial que de mourir ? Et pourtant, la question demeure taboue : on l’esquive et on oublie que sans elle, toute la beauté du monde ne serait au mieux que la plus aliénante des prisons dorées. Le psychopompe de Laverdure le rappelle de belle façon, qui nous entraîne dans les arcanes de la mort, l’apprivoise tout en lui préservant son caractère sacré. C’est que mourir en philosophe ne l’intéresse guère ; il préfère la mort terriblement humaine du héros ordinaire.
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