Le deuxième roman de Katia Belkhodja s’offre dans une forme qui tient à la fois du conte, de la poésie et du récit réaliste. La syntaxe torturée de phrases qui ont perdu un complément, un verbe, un sujet, déconcerte le lecteur tout en exigeant de lui une participation à l’élaboration du texte, du moins d’un texte possible. L’auteure, en effet, nourrit les hésitations interprétatives et ouvre de multiples voies à la lecture. On revient deux fois sur chaque passage sans certitude de l’avoir sondé entièrement. On sent que le livre nous parle de choses très actuelles mais on a peur de se livrer à des équivalences de sens qui risqueraient de le vider de toute son épaisseur poétique. On traite donc ce roman avec une délicatesse particulière, celle avec laquelle on aborde les grandes œuvres par crainte de les trahir.
Au cœur du récit, un adultère : la femme du boucher avec le facteur. De cet adultère naît l’héroïne, Shéhérazade ou Sherry. Dès l’amorce donc, le lecteur a affaire à une double référence culturelle : le cliché du facteur porteur d’infidélité dans les foyers et l’évocation, moyennant une transformation d’importance, de La femme du boulanger de Pagnol. Le nom de Shéhérazade, quant à lui, lie tout de suite le roman de Katia Belkhodja à une tradition arabe des contes et des légendes ainsi qu’à une image de femme courageuse, capable de détourner la plus sévère des condamnations. La transformation de Shéhérazade en Sherry souligne, enfin, la tentative de chaque groupe humain de neutraliser l’étrangeté en la masquant sous le couvert le plus commun. Or, rien ne sert de nier l’altérité en la déguisant, elle finit toujours par rattraper les tenants de l’immuabilité. C’est ce qu’expose le texte, une loi de la proximité généralisée : proximité étonnante entre le commun et l’exceptionnel, proximité nécessaire entre des cultures qui ne peuvent plus envisager de vivre en vase clos, proximité fatale entre l’humain et l’animal, entre l’humain et l’objet, entre la civilité et la violence. Tout est près de tout, tout peut être contaminé par tout et le danger serait de croire possibles des barrières étanches entre les réalités, les humains, les sentiments, les actions, les modes d’être, etc.
Il s’agit donc d’un roman qui résiste au résumé mais qui fait résonner en chacun un monde d’images à la fois connues, reconnaissables et étranges, un roman qui nous parle d’aujourd’hui tout en s’ancrant dans l’éternité de la fable.
LA MARCHANDE DE SABLE
- XYZ,
- 2015,
- Montréal
75 pages
18,95 $
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