Les Acadiens sont fascinés par leur histoire qui, avouons-le, offre de nombreuses avenues d’analyse, de commentaires et de fiction. Les trois ouvrages qui sont présentés ici sont intéressants et complémentaires à plus d’un titre.
Si Nicolas Landry et Nicole Lang s’en tiennent à l’histoire des Acadiens du « territoire » actuel (les trois provinces maritimes), Phil Comeau, Warren Perrin et Mary Broussard Perrin (Prix littéraire France-Acadie 2015) font éclater l’espace en cherchant à nommer « toutes » les Acadies, c’est-à-dire toutes les régions où il y a des gens qui ont des ancêtres acadiens, aussi lointains soient-ils. On frôle la folklorisation et on confirme la passion que plusieurs ont de la généalogie. Cela dit, l’ouvrage pointe par incidence le métissage des populations de l’Amérique du Nord. Joel Belliveau, quant à lui, revient sur les manifestations qui ont animé la toute jeune Université de Moncton, amorçant le mouvement culturel et social d’où allait émerger une floraison d’artistes résolument inscrits dans la modernité. On est alors loin de la gentille et naïve vision proposée par Natasha St-Pier dans le clip où elle chante « Tous les Acadiens », fondant les Amérindiens, les Acadiens et les Cajuns dans un même magma. On pourrait même penser que Michel Fugain serait surpris de la façon dont elle l’a mise en images.
Alors, pour faire passer ce clip, rien ne vaut la lecture de ces trois ouvrages qui enrichissent (c’est le moins qu’on puisse dire) la « vision » proposée par Natasha.
D. Lonergan
Histoire de l’Acadie1 de Nicolas Landry et Nicole Lang
Par David Lonergan
L’histoire de l’Acadie est passionnante et Nicolas Landry et Nicole Lang ont réussi à nous la faire partager. Sur cette Acadie qui est celle des provinces maritimes, l’ouvrage « vise d’abord et avant tout à faire connaître le vécu de tout le peuple acadien, pas seulement celui de son élite ». D’où l’importance accordée à la vie sociale, aux valeurs, à l’économie, à l’éducation et aux rôles des femmes, quitte à laisser moins de place à l’aspect politique.
Les deux auteurs sont des professeurs d’histoire de l’Université de Moncton, Landry au campus de Shippagan et Lang à celui d’Edmundston. Lang a publié plusieurs articles sur le monde du travail en Acadie, tandis que Landry s’est particulièrement intéressé aux pêcheries, toujours en Acadie. Ce qui explique l’objectif de l’ouvrage, qui « tente de répondre aux besoins et aux préoccupations des étudiantes et des étudiants du premier cycle universitaire et du public en général ». Les auteurs utilisent une langue sobre, claire, habitée par un vocabulaire précis, mais pas « pointu ». La lecture en est ainsi rendue agréable. Ce qui n’empêche pas les nombreuses notes de bas de page et la généreuse bibliographie qui prouvent le sérieux du projet et facilitent les recherches que pourraient mener les étudiants.
L’ouvrage est divisé en sept chapitres, chacun couvrant une partie de l’histoire en suivant la chronologie de la fondation en 1604 jusqu’à 2013. Chaque chapitre comporte des sections séparées sur le politique, le social et l’économique. À leur tour, ces sections sont subdivisées en fonction de thèmes qui appartiennent à l’époque. Cette nomenclature s’explique par la volonté d’en faire un ouvrage pédagogique. Par contre, elle entraîne quelques redites puisque certains faits peuvent appartenir à plusieurs domaines. Elle a cependant l’avantage de permettre une lecture ciblée en fonction de l’un ou l’autre des thèmes, par exemple la situation des femmes, la vie religieuse, l’éducation, la langue.
L’accent est mis sur la période qui se termine en 1763 avec le traité de Paris : le tiers de l’ouvrage lui est consacré. En comparaison, la période allant de 1763 à 1880 n’a droit qu’à 80 pages, alors que celle de 1880 à 2013 compte environ 170 pages. En cela, ce livre reflète la fascination qu’ont les Acadiens pour l’Acadie de l’« empremier » et l’état de la recherche sur le retour des Acadiens dans les Maritimes : les « cent ans dans les bois » sont aussi les plus difficiles à documenter.
Bien au fait des dernières recherches en histoire acadienne, les auteurs ont su trouver un ton qui tient compte de la complexité de la réalité des Acadiens, en particulier dans leurs rapports avec les Anglais. Par exemple, la déportation est traitée sans romantisme ni apitoiement, et sans condamner les officiers anglais. Le point de vue des auteurs est descriptif et analytique : faits et causes sont énoncés en tenant compte des enjeux de chacune des forces en présence – Français, Canadiens, Acadiens, Amérindiens, Anglais (autant ceux de la métropole que ceux de la Nouvelle-Angleterre). On comprend alors mieux la nature des conflits, ce qui n’enlève rien au caractère tragique du Grand Dérangement. Les conflits linguistiques et les autres thèmes sont abordés de la même façon.
La principale difficulté vient de la volonté de traiter des Acadiens des trois provinces maritimes. Ce choix oblige les auteurs à nous présenter l’organisation et l’évolution de chacune de ces provinces, en particulier dans le domaine de la politique, ce qui alourdit parfois le propos. Par contre, on peut ainsi avoir un portrait d’ensemble de ce qu’est la réalité des Acadiens : un peuple éparpillé dans trois provinces et vivant dans des conditions linguistiques fort différentes. Les auteurs distinguent d’ailleurs très bien les Acadiens du territoire, qui sont le sujet du livre, de ceux de la diaspora et de ceux qui sont d’une origine plus ou moins lointaine.
On pourrait regretter la rareté de cartes qui permettraient de mieux voir les lieux dont on parle et l’apparition de noms sans qu’on précise systématiquement de qui il s’agit ou encore à quel parti politique ou à quel organisme ils appartiennent. Par contre, les illustrations sont nombreuses et bien choisies. Enfin, la section sur la vie culturelle entre 1950 et 2013 est faible et entachée de quelques erreurs dont la plus amusante est de transformer le Pays de la Sagouine en un Village, ce qui serait plus proche de la réalité fictionnelle, mais contraire à son appellation.
Dans l’ensemble, cet ouvrage trace un portrait bien documenté de l’Acadie des Maritimes et répond à l’objectif que les auteurs s’étaient fixé.
1. Nicolas Landry et Nicole Lang, Histoire de l’Acadie, Septentrion, Québec, 2014, 467 p. ; 32,95 $.
L’Acadie hier et aujourd’hui, L’histoire d’un peuple2
PRIX LITTÉRAIRE FRANCE-ACADIE 2015 (sciences humaines)
Par David Lonergan
Les Acadiens ont été non seulement déportés, mais dispersés par l’Angleterre. Quant à ceux qui ont échappé à la déportation, ils ont fui leur Acadie, ce qui a également contribué à leur dispersion.
Malgré tout, ce peuple est toujours vivant dans les provinces maritimes et en Louisiane, tandis que dans différentes régions du Canada, des États-Unis et de la France, un nombre fort imposant de personnes peuvent se vanter d’avoir au moins un ancêtre acadien. À titre d’exemple, il y aurait 200 000 descendants d’Acadiens au Texas et trois millions au Québec.
L’avocat louisianais Warren Perrin, un des principaux animateurs de la diaspora acadienne, a eu l’idée de produire un livre qui en retracerait l’histoire, ferait le point sur la situation actuelle et présenterait TOUTES les régions où sont installés les descendants, fussent-ils lointains et dilués dans d’autres souches. Puis avec Mary Broussard Perrin (sa conjointe) et le cinéaste Phil Comeau, il a rassemblé 51 auteurs tant francophones qu’anglophones pour créer ce qui est à la fois une bible et un fourre-tout sur les Acadiens et les Acadies. Deux éditions existent : l’une en français, l’autre en anglais.
L’ouvrage est divisé en cinq parties qui se composent chacune de plusieurs articles de longueurs variables. « Acadie du monde » propose un survol de l’histoire, s’intéresse à la langue, rappelle la création du Congrès mondial acadien (CMA) et présente les ressources généalogiques. Les généalogies sont d’ailleurs au centre des « Historiques des régions acadiennes » (et elles sont nombreuses, ces régions). « Cultures de l’Acadie » et « Acadie remarquable » offrent un portrait historique et actuel de la mouvance acadienne dans une tonalité qui est manifestement mobilisatrice. En épilogue, Warren Perrin évoque ses « vingt-cinq ans de découvertes de l’Acadie du monde » par un album de photos.
C’est sans doute Zachary Richard qui donne la clé et le sens de ce livre quand il évoque sa découverte de « l’Acadie du Nord », lui l’Acadien du Sud, alors que jusqu’au début des années 1970 il en ignorait tout : « Comment est-il possible que ce sentiment d’identité, ce sentiment d’appartenance et même de parenté persistent après plus de deux cent cinquante années de séparation ? » C’est sans doute ce que ressentent les Acadiens présents aux différents CMA ayant lieu chaque cinq ans depuis 1999 dans l’une ou l’autre des régions acadiennes.
2. Sous la dir. de Phil Comeau, Warren Perrin et Mary Broussard Perrin, L’Acadie hier et aujourd’hui, L’histoire d’un peuple, Andrepont Publishing/La Grande Marée, Tracadie-Sheila, 2014, 495 p. ; 29,95 $.
Le « moment 68 » et la réinvention de l’Acadie3
Par Yves Laberge
Comme l’a fait avant lui Raymond Hébert dans son excellent livre La révolution tranquille au Manitoba français (Du Blé, 2012), l’historien Joel Belliveau s’est intéressé à la « prise de conscience » de la jeunesse des années 1960 dans un milieu minoritaire, cette fois au Nouveau-Brunswick. Une partie de ce « moment 68 » avait été immortalisé dans le film L’Acadie, l’Acadie!?! (1971) de Michel Brault et Pierre Perrault ; plusieurs chapitres commentent d’ailleurs des séquences fameuses de ce documentaire.
Ce premier livre de Joel Belliveau dérive de sa thèse de doctorat soutenue en 2008, Tradition, libéralisme et communautarisme durant les « Trente glorieuses » : les étudiants de Moncton et l’entrée dans la modernité avancée des francophones du Nouveau-Brunswick, 1957-1969. Différents fonds d’archives ont été consultés ; c’est le principal apport de ce livre.
Trois mois avant le Mai 68 parisien, les étudiants de l’Université de Moncton ont connu leur « printemps érable » : manifestation réunissant 2000 personnes, grève étudiante, arrestations, conflits avec le gouvernement néo-brunswickois survenus « dans un milieu encore peu habitué au militantisme ». En conséquence, la direction de l’Université de Moncton avait fermé le Département de sociologie et congédié les sept professeurs ; une trentaine d’étudiants avaient aussi été expulsés. C’est précisément en relisant les textes (articles, thèses de doctorat) rédigés par ces principaux protagonistes il y a près d’un demi-siècle que débute Le « moment 68 » et la réinvention de l’Acadie, en en racontant les prémices (dès 1957) afin de saisir les conséquences de ce mouvement, ce « ras-le-bol qui a fait sortir de leurs gonds les étudiants de tous les coins de la planète ». Le cas néo-brunswickois était « une incarnation locale d’un phénomène global » avec cette différence que les étudiants de Moncton n’ont pas « imité » ceux d’ailleurs mais les ont précédés. Or, selon Joel Belliveau, ce « moment 68 » ne résulte pas uniquement d’un conflit linguistique ou identitaire, mais d’un ensemble de circonstances et d’un cheminement collectif s’étalant sur une dizaine d’années. En toile de fond, on trouve néanmoins la francophobie ambiante régulièrement alimentée par des lettres ouvertes dans les journaux du Nouveau-Brunswick et les actions néo-colonialistes de la Maritime Loyalist Association en faveur de l’unilinguisme anglophone et de la préservation de l’identité britannique au Canada.
3. Joel Belliveau, Le « moment 68 » et la réinvention de l’Acadie, Presses de l’Université d’Ottawa, Ottawa, 2014, 283 p. ; 39,95 $.