« Récit de l’intérieur », puisqu’il porte la signature de l’un des artisans de cette audacieuse aventure, ce portrait de Québec-Presse met utilement en lumière un moment particulièrement intense du journalisme québécois. Certains propos de Jacques Keable à la marge de son sujet démontrent peut-être qu’on ne sort pas indemne d’un tel investissement professionnel.
Québec-Presse parut pendant cinq ans, d’octobre 1969 à novembre 1974. Chacune de ses livraisons se tint à distance du journalisme québécois de l’époque : par le choix de ses cibles, la vigueur de ses critiques, l’étoffe de ses dossiers, son intérêt pour les régions, l’anémie de ses ressources publicitaires, son humour caustique et iconoclaste, sa défense des plus démunis… Tout en mettant en lumière ces mérites de l’hebdomadaire, Keable ne tait pas les erreurs commises en cours de route : par exemple, une première page affirmant que « Laporte et Cross sont morts » ! Les anecdotes font de cette portion du survol une lecture vivante et étonnante. Qui savait que Réjean Ducharme fut à l’occasion correcteur d’épreuves de Québec-Presse ?
La vigueur des offensives menées par Québec-Presse et la coloration unique de ses loyautés contribuèrent indéniablement à plusieurs réformes. Son influence, évidemment niée par le pouvoir politique, se fit sentir dans des dossiers aussi différents que la création des ZEC (zones d’exploitation contrôlée) ou l’inclusion des femmes dans les jurys.
Pourquoi un journal si utile et porteur de valeurs aussi négligées qu’essentielles fut-il contraint de fermer ses portes ? Par manque de fonds. Keable n’a pas à insister pour que le lecteur comprenne qu’un journal boudé par les maîtres de la publicité est voué à l’échec. Les centrales syndicales auraient-elles pu maintenir le journal à flot ? La réponse de Keable devient ici plus nuancée. D’une part, la collaboration entre les centrales s’était attiédie ; d’autre part, l’épiderme des syndiqués et de leurs cadres réagissait peut-être avec étonnement et impatience aux critiques que les très autonomes journalistes de Québec-Presse leur adressaient comme à tout le monde. À ceux-là, Keable ajoute d’autres facteurs : naissance du quotidien Le Jour, venant puiser dans la clientèle de Québec-Presse ; abstention de Desjardins ; etc.
La sérénité générale du récit n’empêche pas Keable de se montrer durablement vindicatif à l’égard de René Lévesque (plus coléreux que Bourassa), de Claude Ryan (gouvernant Le Devoir d’une main de fer), du Jour… En revanche, Keable oublie que les journalistes furent, dans cette belle et douloureuse aventure, les seuls à toujours se soustraire à la nécessité des contrepoids. « Absolute power corrupts absolutely… »
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...