On a trop vite oublié les grands chanteurs français des années 1960 comme Léo Ferré (1916-1993), Gilbert Bécaud (1927-2001) ou Jean Ferrat, né Jean Tenenbaum (1930-2010). Certaines de ses compositions resteront immortelles : « C’est beau la vie », « La Montagne », « Heureux celui qui meurt d’aimer », « Camarade », « Que serais-je sans toi » (sur un poème de Louis Aragon tiré du recueil Le roman inachevé).
Déjà biographe d’Aznavour et critique pour le magazine français Je chante, Raoul Bellaïche avait conçu le livret accompagnant l’Intégrale de Jean Ferrat. Dans Jean Ferrat, Le charme rebelle, il puise à de multiples entretiens donnés par le chanteur durant un demi-siècle. On apprend beaucoup sur la jeunesse de ce Français né d’un père juif qui, un jour durant l’Occupation, ne rentra pas à la maison, victime d’une rafle antijuive. Dès lors, Jean Tenenbaum choisit son camp et voulut s’opposer au nazisme en devenant communiste. Toute sa carrière sera érigée sur la contestation et l’engagement, ce qui l’amènera fréquemment à critiquer le Parti communiste et l’URSS pour leurs excès, leur dogmatisme, leurs purges et leur complaisance.
La chanson « Pauvre Boris », en hommage à Boris Vian, illustre avec force l’engagement de Ferrat, révolté devant le succès radiophonique de la version twist du « Déserteur », chanson antimilitariste reprise et popularisée par Richard Anthony en 1966, alors que la version d’origine avait été censurée puis interdite en 1954. S’adressant à Boris Vian comme s’il était toujours vivant, Ferrat prend un ton est cinglant envers l’idéologie coloniale, l’armée française, le mercantilisme et les nouvelles idoles du yéyé : « Voilà quinze ans qu’en Indochine / La France se déshonorait / Et l’on te traitait de vermine / De dire que tu n’irais jamais ».
Pourfendeur du dumping culturel étatsunien et précurseur avant la lettre de la diversité culturelle, Jean Ferrat a toujours déploré ce déséquilibre entre l’omniprésence de la musique anglo-saxonne sur les radios de France et l’imperméabilité des médias américains aux musiques en d’autres langues que l’anglais : « […] dans un pays comme la France, il est absolument honteux de passer cinquante ou soixante pour cent de chansons étrangères ».
Très instructive et exhaustive, cette excellente biographie proposée par Raoul Bellaïche permet de mesurer l’ampleur de l’œuvre immense de Jean Ferrat.
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