L’engouement pour le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ne semble pas en voie de s’atténuer. Cette expérience de marche intensive sur plus de 800 kilomètres continue en effet de générer des écrits. Uniquement au Québec, près d’une quarantaine de témoignages de marcheurs ont été publiés en volume depuis les années 1990. Il en résulte parfois un risque de redites auquel toutefois l’écrivain Sergio Kokis réussit en grande partie à échapper. De fait, contrairement à bon nombre de témoignages, le récit de Kokis n’adopte pas vraiment l’approche du guide qui entend fournir aux futurs pèlerins de multiples renseignements et recommandations d’usage pour bien réussir leur pèlerinage. N’y est pas vraiment développée non plus la perspective culturelle consistant à rappeler à point nommé des légendes traditionnelles, à signaler les multiples rituels à accomplir et à décrire les vestiges historiques et religieux qui jalonnent cette voie sacrée et millénaire. Certes, on y retrouve la trame narrative convenue qui consiste à relater les étapes quotidiennes de marche, ponctuées d’arrêts pour se restaurer et se loger, et le tout accompagné de quelques réflexions et impressions. Mais Kokis parvient à personnaliser son récit de diverses manières. D’abord l’écrivain raconte non pas une, mais plusieurs longues randonnées qu’il a entreprises au cours des dix dernières années en compagnie de sa conjointe sur différents parcours (le Camino francés, le Camino portugués, le Trans Swiss Trail 1, le Trans Swiss Trail 2, « le mystérieux Camino del Norte », etc.). Par ailleurs, l’ascèse et l’effort physique propres à ce genre d’expérience de dépouillement n’excluent pas une approche épicurienne, comme en témoignent les nombreuses allusions aux plaisirs de la table, au fameux « menu del peregrino » bien arrosé « de vin et d’orujo ». Le pèlerinage vers Compostelle, par le Camino portugués notamment, « se révèle être un véritable tour de gastronomie et de dégustation d’alcools fins ». En outre, le récit de Kokis prend parfois une dimension autobiographique en étant entrecoupé d’anecdotes et de commentaires au sujet de ses activités de peinture et d’écriture. Mais c’est surtout lorsqu’il traite de la façon dont ses aventures de marche l’ont transformé que Kokis se démarque. Alors que dans la plupart des témoignages les marcheurs ne semblent bien souvent garder de leur aventure sur le Chemin « qu’un enseignement essentiel et assez vague » à l’instar de Jean-Christophe Rufin dans son Immortelle randonnée (2013), Kokis tente pour sa part de mettre des mots sur ce qu’il considère comme une « nouvelle manière d’être au monde ». « En marchant, écrit-il, nous sommes obligés d’avancer allégés, sans les objets et sans le regard public que nous croyons essentiels au maintien de la cohésion de notre histoire personnelle, de notre identité. Leur absence, ou la diminution momentanée de leur présence rassurante, a pour effet d’éclaircir le champ de la conscience de soi et permet alors d’entrer en contact avec ce soi-même ». Son retour à Montréal après sa première expérience sur le Camino francés prend la forme d’une véritable révélation : « Après deux mois de vie dépouillée, avec mon sac à dos pour tout bagage, cette abondance d’objets superflus [sa bibliothèque et sa collection de pipes] m’est apparue dans toute son absurdité, comme un boulet destiné à entraver ma liberté ». Bref Kokis réussit à nous faire ressentir cette « magie des chemins » qui l’a ensorcelé et qui a donné un nouveau sens à son existence. Et il y a fort à parier que son récit sera déterminant dans la décision de certains lecteurs de partir à leur tour sur des sentiers « chargé[s] d’histoire et de légendes », en quête d’aventures, de dépaysement, voire de repas gastronomiques et de bons vins.
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