Le roman de Marise Belletête revisite de façon postmoderne la Psychanalyse des contes defées de Bruno Bettelheim. Pour Ève, l’héroïne de L’haleine de la Carabosse, la vie n’est pas un conte de fées, bien que sa mère la traite comme une princesse. Elle se considère comme la « digne descendante d’une lignée de femmes dérangées ». William, son père, a quitté le domicile conjugal pour aller recueillir des contes à travers le monde. Il était fasciné par l’univers imaginaire dont ils sont porteurs, mais il a aussi cherché à fuir une femme dont l’amour possessif l’emprisonnait. Dans l’un des passages écrits au « je », Ève s’étonne que son père ait réussi à partir car, pour sa part, elle se sent incapable d’échapper à la surveillance oppressante de sa mère : « L’haleine de la Carabosse me couvre tout entière ». À dix ans, la petite fille a compris que son « chevalier paternel » ne reviendrait pas. Les seules nouvelles que mère et fille recevront par la suite les informeront qu’il s’est remarié et qu’il a eu une fille avec sa nouvelle femme.
Le roman commence avec l’enterrement du père, qui a choisi de finir ses jours dans la région où habitent son ex-femme et sa fille. Le notaire, maître Dugas, remet à Ève le journal dans lequel William notait les contes qu’il enregistrait. Tous ces contes sont retranscrits dans le roman au fur et à mesure qu’Ève les découvre. Cette lecture est pour la jeune fille l’occasion d’amorcer, en quelque sorte, une auto-analyse. « Elle était en pleine fouille. Archéologie intime. Elle dépoussiérait son fossile de princesse et ses petits pois. » Elle cherche les mots pour le dire, qui lui permettront de construire son histoire. Père et fille partagent la même « fatale dépendance aux mots ». En revanche, la mère d’Ève, Blanche, que sa fille surnomme Blanche-Haine, déteste les livres au point qu’elle a jeté par la fenêtre, au départ de son mari, tous ceux qui étaient dans la bibliothèque.
Tandis que le père apparaît en filigrane, les autres personnages prennent forme peu à peu. La sœur jumelle de Blanche, qui s’appelle Anne, comme on pouvait s’y attendre dans cet univers féerique, est sans cesse à la recherche de son prince charmant. Malheureusement, le dernier de cette « liste noire » est en fait une incarnation de Barbe bleue. Lorsque l’amoureux d’Ève, Jules, qui est prestidigitateur, cherche à renouer avec elle après une dispute, elle lui répond : « Je ne suis même pas sûre qu’on existe encore ». Le livre s’achève sur une note optimiste : « Les reines carabosses peuvent nous libérer de leur emprise. Je peux encore me réécrire ». Roman d’apprentissage, recueil de contes, réflexion borgésienne sur l’écriture, L’haleine de la Carabosse est un exceptionnel premier roman.
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