Sans doute pour respecter l’implacable loi qui régit l’existence humaine, Chrystine Brouillet laisse vieillir Maud Graham. Peut-être pas d’un an par année, mais suffisamment pour que son enquêtrice avoue ses cinquante ans et que ses familiers progressent eux aussi non seulement « en grâce et en sagesse », mais aussi en nombre. Le lecteur qui aurait raté quelques-uns des récents livres de l’auteure risque donc un certain dépaysement face à certains visages qui surgissent autour de Maud et que l’auteure présume connus de tous. L’inconvénient ne serait que mineur si le récit faisait la part moins belle aux relations humaines et se concentrait davantage sur l’enquête proprement policière. Ce qu’on gagne en chaleur humaine, on le paie d’une certaine dilution dans la densité du travail professionnel. Le gain n’est d’ailleurs pas constant, car Maud Graham mène certains de ses interrogatoires avec une vigueur aux limites de l’abus de pouvoir. Chrystine Brouillet a trop de métier pour que ces choix – ce prix à payer – soient irréfléchis.
L’écriture, d’un roman à l’autre, progresse en vivacité. La syncope frappe souvent et de façon opportune. Les liens que le lecteur peut effectuer de lui-même, l’auteure les abolit et le mouvement s’en trouve allégé et accéléré.
Facette moins heureuse (à mon avis), Maud Graham confirme ici sa propension à épouser les préjugés populaires et, plus encore, ceux qui circulent dans la culture policière. Si on s’informe de la sentence imposée au violeur qu’elle a appréhendé, elle répond : « Non. Et j’aime mieux ne pas la connaître quand le verdict tombera. Ce n’est jamais assez sévère ». Sa compréhension semble plus grande s’il est question du crime peut-être commis par un de ses proches : « Éric pouvait-il vraiment être condamné à une longue peine de prison, alors que ce cardiologue qui avait massacré ses deux enfants avait été déclaré irresponsable ? Il n’aurait qu’à imiter ce médecin et plaider la folie passagère ». Interprétation simpliste d’une tragédie qui exige au moins du doigté. Même conception inquiétante de la justice lorsqu’il s’agit de l’assassinat d’un truand : « Je ne pleure pas quand un motard ou un pourri se fait descendre, mais je ne veux pas que ça se passe dans ma ville. Parce que je ne veux pas de dommages collatéraux. […] Les dommages, c’est quand un innocent reçoit une balle qui ne lui était pas destinée ». Doit-on comprendre qu’aux yeux de Maud certaines vies valent moins cher que d’autres ? Quelque chose manquerait à sa formation.
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