Un journal retravaillé, élagué, qui ne conserve qu’un portrait mensuel de janvier à décembre des neuf années qu’il couvre. Le temps d’assister à la naissance d’un écrivain, car c’est aussi de cela qu’il s’agit. Aussi, dis-je, parce que la quête amoureuse est ce qui occupe le plus d’espace.
Il a vingt ans, vit seul à Montréal. Il s’est préparé pour entrer au Conservatoire d’art dramatique mais n’a pas été accepté. Déterminé, il essaie aussi à l’École nationale de théâtre, en vain. Il travaille dans une librairie tout en s’adonnant à l’écriture. Dans sa vie intime, il assume son homosexualité et en attend autant des gars qui ont les mêmes affinités. L’ambivalence de plusieurs d’entre eux le laisse meurtri. Il reconnaît toutefois sa propre indécision entre son besoin d’être avec quelqu’un et sa soif de liberté. Malgré les ruptures et les souffrances successives, il aspire à la vie à deux, prêt à faire des compromis. Pendant quelques mois, il croira avoir réussi à former un couple stable, mais une fois encore il se sera trompé. Bref, du début à la fin de la vingtaine, il naviguera entre nouvelle passion amoureuse et déception. Lucidement, il lui arrive de se demander si l’amour dans le sens où il l’entend existe ou si ce n’est qu’un « fantasme perpétré par l’art » dont il se nourrit. L’art, voilà son port d’attache, là où se révèle sa constance. Littérature, cinéma, musique et théâtre créent le lieu où il arrive à se sentir heureux, où son esprit et sa sensibilité trouvent leur oxygène.
Année après année, il assiste avec la même excitation au Festival des films du monde, allant voir jusqu’à quatre ou cinq films par jour. Ses commentaires manifestent une culture certaine. La liste des œuvres citées en cinéma, théâtre, littérature, à la fin du journal, témoigne de son bagage culturel. Mais ce qui suscite le plus l’admiration, c’est sa persévérance dans l’écriture. Les maisons d’édition refusent ses textes ? Qu’à cela ne tienne, heureux si on prend la peine de lui répondre, il reprend, confiant. Si bien que Martel en tête et Cher Émile, les deux romans auxquels il travaille pendant ces années du journal, ont été édités par la suite respectivement en 1998 et 2006. Un recueil de nouvelles, Être, s’y ajoutera en 2011, avant que ne soit publié récemment Le mouvement naturel des choses, tous chez le même éditeur, qui consacre sa collection Hamac « aux textes profondément humains qui brillent par leur qualité littéraire ». Éric Simard, un auteur d’une grande sensibilité qui s’inscrit résolument dans son époque.