Chacun des 35 portraits dessinés au fil des années, entre 1942 et 2009, par Pierre Vadeboncoeur, est d’une brièveté qui laisse sur sa faim. La publication de ces textes, regroupés dans un recueil intitulé on ne peut plus exactement En quelques traits par Lux éditeur, ne répond à mon avis à aucune nécessité. De quelque manière qu’on les considère, ils nous apprennent peu sur les apports positifs ou négatifs des personnalités évoquées et par ricochet sur l’histoire du Québec qu’elles ont pourtant contribué à faire dans les domaines de l’art, de la politique, du syndicalisme.
Ayant connu et même fréquenté un très grand nombre des personnes présentées dans ce recueil et rencontré au moins une fois d’aussi anciens personnages que Maurice Duplessis et Lionel Groulx, j’ai pu apprécier à sa pleine valeur la justesse et l’acuité de la perception de Vadeboncoeur du caractère constitutif de chaque personnalité dépeinte et comprendre en quoi ce caractère explique que ces hommes aient joué un rôle important dans notre société. Je me suis néanmoins demandé ce qu’il peut en être pour des jeunes qui ne les connaissent ni d’Ève ni d’Adam, alors qu’aucune mise en contexte de leurs faits et gestes ne permet d’en saisir la nature précise et leurs résultats. Au mieux, certains, déjà intéressés par l’histoire de notre peuple, éprouveront la curiosité suffisante qui les poussera à vouloir en connaître davantage.
Cela dit, ces portraits demeurent du Vadeboncoeur : un regard, un style, un souffle. Une générosité, une ironie. Une intelligence, un savoir. Une lucidité, une profondeur. Une culture.
Comme l’ensemble de l’œuvre, ils sont d’une écriture à la fois solide et fine, inusable, comme on dit d’une bonne étoffe. Leur lecture procure un plaisir, parfois franc, parfois subtil.
Les plus sarcastiques sont ceux des ennemis politiques de Vadeboncoeur, notamment celui de Marc Lalonde, où est montrée avec férocité la bêtise inouïe du serviteur des basses œuvres de Pierre Elliott Trudeau.
Ceux des syndicalistes Gérard Picard et Marcel Pepin comptent parmi les plus instructifs. Nous découvrons des figures moins flamboyantes que les Michel Chartrand et Jean Marchand, mais tout aussi révolutionnaires, sinon plus, que le premier et, ô combien plus fidèles à leurs idéaux et objectifs, que le second.
Sans doute parce que ces hommes répondent parfaitement à la représentation idéale que se faisait Pierre Vadeboncoeur de la grandeur de l’homme, les portraits les plus impressionnants en même temps que les plus réjouissants sont ceux de Gérald Godin, de René Lévesque, de Jacques Ferron.
Enfin, apparaît dans toute sa splendeur et sa vérité Gaston Miron, tel que dévoilé et révélé dans trois textes admirables qui laissent voir avec quelle puissance Vadeboncoeur pouvait saisir la quintessence d’une âme de poète et de son œuvre. Le second texte est celui de l’éloge funèbre, lu par Gilles Pelletier, le 21 décembre 1996, aux funérailles de notre poète national. Pierre Vadeboncoeur y affirme avec conviction que Miron est « tout simplement un sommet de la poésie contemporaine ». Dans le troisième texte, extrait de son essai La clé de voûte, Vadeboncoeur rappelle la conception qu’avait Miron de la culture. On va ainsi avec une grande joie de la culture de l’un à celle de l’autre. J’insiste néanmoins sur l’insuffisance de ces portraits pour faire découvrir ces personnalités décédées, la plupart inconnues de nos contemporains, particulièrement des jeunes.
Je tiens également à déplorer l’absence des femmes dans l’univers où circulait Pierre Vadeboncoeur. Myope ou misogyne, il semble n’en avoir entrevu que deux, soit Jeanne Sauvé et Simonne Monet-Chartrand. Il raille la première et louange la seconde, soulignant son courage, la richesse de sa pensée et son sens du devoir. Il ne peut néanmoins s’abstenir de l’associer à Michel Chartrand avec qui elle forme un couple, alors que dans le portrait qu’il fait de celui-ci, Simonne est complètement écartée.
De même, dans sa galerie de portraits de peintres, sont absentes les Marcelle Ferron, Rose-Marie Arbour, Rita Letendre, pour laisser tout l’espace d’exposition aux Jean-Paul Riopelle, Ozias Leduc et autres Jean Dallaire.
Et que dire de son silence sur Hélène Pedneault, la sœur jumelle de Pierre Falardeau, dans l’action et le discours militants.
Navrant de la part d’un écrivain décrit comme un humaniste