La référence que fait le titre au côté improbable de cette amitié fait lever plusieurs questions. Que Jean-Marc Piotte et Pierre Vadeboncœur soient de générations et d’intérêts différents, cela est manifeste, mais depuis quand les amitiés doivent-elles ne relier que des clones ? Par ailleurs, puisque les deux hommes se sont rapidement appréciés et que leurs propos ont presque toujours été, malgré les divergences, empreints de sollicitude et de respect, pourquoi l’improbable échange épistolaire s’est-il asséché après une quinzaine de lettres du plus jeune et une dizaine de l’aîné ? L’introduction de Jacques Pelletier laisse sobrement flotter ces questions.
Que l’amitié fût là, les lettres ont tôt fait de le manifester. On parle revues, vacances, lectures, rencontres avec chaleur et affection, même si, au début des échanges, Piotte a 23 ans, Vadeboncœur 43. Les différences feront surface, mais la verdeur abrupte de Piotte ne rencontre qu’esquive de la part de son vis-à-vis. « J’ai l’impression, écrit Piotte avec paternalisme, que tu confonds différents problèmes » ; « Tu mélanges, poursuit-il, la théorie empiriste et la théorie behavioriste, en accordant la priorité à cette dernière. Bref, tu proposes une méthode d’aveugle ». Aucune riposte (connue) de Vadeboncœur dont la sérénité semble résister à tout. Peu à peu, pourtant, l’improbable amitié semble évoluer vers des trajectoires détachées. Piotte écrit de longues lettres où s’expriment de sèches préoccupations idéologiques et qui manifestent une irrésistible propension à l’analyse cérébrale ; Vadeboncœur, nourri d’intuitions et capable de regards multiples, parle de tout, de peinture et de loisirs aussi volontiers que de syndicalisme. L’amitié survit, mais les dénominateurs communs s’étiolent.
La collection dans laquelle prend place cet échange épistolaire répugne heureusement à multiplier les notes infrapaginales. Jacques Pelletier, en présentant les acteurs et leurs œuvres, et en fichant en mémoire quelques repères chronologiques, se montre sagement laconique. Peut-être trop parfois. C’est le cas, par exemple, lorsque Piotte et Vadeboncœur se livrent à une surenchère de méchancetés aux dépens de Robert Sauvé, sans qu’on nous dise de quoi le duo le trouve coupable. La note qui le concerne est d’une discrétion frustrante. Sauvé fut, en effet, après son départ de la CSN, non pas haut fonctionnaire à la CSST, mais grand patron de l’organisme. Il fut aussi sous-ministre du Travail auprès du débordant Maurice Bellemare. Il ne fut donc pas un acteur négligeable dans le monde des relations de travail.