Carlos Shulz, artiste milanais d’origine brésilienne, souhaite graver une danse macabre moderne. Il entrevoit déjà comment en illustrer plusieurs stations, mais le fil conducteur lui manque. La vie du mime Makarius pourrait l’inspirer, pense-t-il. Le souvenir de ce singulier personnage de cirque s’impose à lui. Il l’a connu dans les années 1950 à Rio, après le démantèlement du cirque Alberti, dans l’atelier du peintre Otto Gorz, son professeur, qui était aussi un vieil ami du mime. Quoique fasciné par le personnage, Carlos sait peu de choses à son sujet, si ce n’est son suicide. L’artiste fait appel à des témoins l’ayant connu. Il réussit à recueillir quelques informations à partir desquelles il imagine un personnage qui deviendra son alter ego.
La quête de Carlos alterne avec l’histoire de Makarius, de son exil de Russie vers l’Allemagne au début du XXe siècle jusqu’à son départ pour l’Amérique du Sud avec le cirque Alberti en 1947. Les deux volets s’entrecroisent. Des thèmes à teneur philosophique sont abordés dans chacun, la vie de Makarius illustrant en grande partie les réflexions de Carlos et des intellectuels qu’il fréquente. Par exemple, le thème de la mort. Makarius la défie symboliquement dans son « Pas de deux avec la Mort » dans les cabarets de Berlin, mais vivant dans l’Europe de la première moitié du XXe siècle, il aura vite fait de la côtoyer de près : guerre 14-18, camp de concentration, guerre d’Espagne, montée du nazisme, Makarius sera à la fois témoin et victime des pires scènes d’horreur et d’injustice. Revisitant son passé, le mime le ressentira comme une suite de défaites.
Sans connaître la vie de son alter ego, Carlos grave dix-sept des vingt stations que comptera sa danse macabre moderne. L’allégorie de la Mort y apparaît sous divers masques. Plus que le rappel de notre finitude à tous, cette danse macabre telle que présentée s’avère une critique acerbe de la bêtise humaine, de la corruption des dirigeants et de la résignation des foules.
Une discussion sur l’art se poursuit tout au long du roman (fonction de l’art, place de l’artiste, art engagé, art moderne), appuyée par une quantité impressionnante de références à des graveurs, peintres, poètes, compositeurs, philosophes, qui parsèment le récit et confirment l’érudition de son auteur.
Makarius est un roman marquant par sa profondeur et sa qualité formelle, en dépit de quelques longueurs et de son parti pris élitiste. « Aucun auteur sérieux n’écrit pour la masse », de déclarer l’autodidacte Makarius. Pas de doute, Sergio Kokis est un auteur sérieux.