Paris ou le Québec. La ville ou la forêt. L’écrivaine Hélène Frédérick et son personnage sans identité, au nom d’emprunt de Sophie, sont bel et bien « assise[s] entre deux chaises ». Comme nombre de Québécois, l’auteure et la narratrice de Forêt contraire ont besoin des stimuli de leur pays d’origine, de ses étendues, de sa nature, de son ambiguë douceur de vivre, mais la France et sa capitale sont aussi nécessaires, sinon indispensables, à leur bien-être, à leur être tout court.
« Trente-six heures plus tard, quelques milliers de kilomètres survolés, et me voici parmi les arbres qui me faisaient tant envie, surtout lorsque je me trouvais dans une rame de la ligne quatre à l’heure de l’apéro. » Sophie fuit Paris, ses déboires amoureux et ses dettes, pour se retrouver seule au cœur de la forêt d’Inverness, au bord du lac Joseph, dans la région des Bois-Francs.
Sophie n’est pas aussi isolée qu’elle l’aurait voulu et, d’ailleurs, le voulait-elle vraiment ? André, le voisin amical, l’ex-comédien, le mystérieux camarade la prend sous son aile protectrice et lui offre même un nouveau toit. « J’ai plusieurs terres par ici […]. Je vous en offre une parcelle. Ça vous fait rire ? »
Elle ne considérait pas la construction d’une maison comme un élément essentiel à sa quête de liberté, à sa remise en question. Bien au contraire. Sophie est disciple de Thoreau, dont le Walden demeure un des ouvrages de référence de la pensée écologiste, et comme tel, elle désirait s’amalgamer à la nature, à la forêt, au lac. « Du rythme urbain, et c’est là que pourrait se situer l’intérêt de ma retraite temporaire, il ne subsiste aucune trace. »
Celle qui « n’a plus de nom » va panser ses plaies dans la solitude du chalet familial abandonné. À l’aide d’alcool, de joints et d’innombrables cigarettes, elle ressasse son passé, comme il est de mise dans une telle situation. Elle s’immerge dans Les liens, « une autobiographie jamais lue, signée Lukas Bauer », un écrivain qu’elle connaît peu, mais qu’elle avoue avoir déjà brièvement rencontré. Tout au long de son séjour en forêt, le livre devient son compagnon d’infortune et de réflexion. « J’avale ses Liens par petites bouchées. »
Il est difficile de ne pas faire de parallèle entre Bauer, l’écrivain fictif de Forêt contraire, un intellectuel allemand réfugié à Montréal et qui a choisi le suicide comme porte de sortie, et l’essayiste Lothar Baier qui, lui, a réellement existé, persisté et signé. Et dont nous saluons ici la mémoire.
Hélène Frédérick vit à Paris depuis 2006. Née à Saint-Ours en 1976, elle a publié en 2010 La poupée de Kokoschka, un premier roman très bien reçu. Forêt contraire, roman-poème aux sonorités fortes, le sera sûrement tout autant.