Il faut d’abord saluer l’initiative d’Antoine Boisclair qui, avec l’aide d’une dizaine de traducteurs d’ici, nous donne l’occasion d’élargir notre horizon poétique, au-delà des terres québécoises ou françaises. Les lecteurs ne manqueront pas de s’étonner de la richesse de cette poésie souvent narrative, fortement marquée par l’espace. Le titre de cette anthologie, États des lieux, fait d’ailleurs plutôt référence à ces lieux géographiques, imaginaires, voire abstraits que révèle la poésie américaine contemporaine. Il faut donc moins le comprendre comme un réel « état des lieux » du genre américain. Tous célébrés dans leur pays, les treize poètes choisis correspondent au goût personnel des traducteurs, qui sont eux-mêmes poètes – parmi eux : Daniel Canty, Pierre Nepveu, Antonio d’Alfonso, Gilles Cyr. On rencontre ainsi les plumes de Robert Creeley, l’un des initiateurs dans les années 1950 des Black Mountain Poets, mouvement d’avant-garde associé aux arts et à la performance ; de Charles Simic, auteur originaire de l’ex-Yougoslavie, l’un des poètes américains les plus lus et dont l’écriture est empreinte d’humour et de simplicité, sans être simpliste ; de Fanny Howe, qu’on compare à Sylvia Plath ; et d’autres auteurs dont l’œuvre, pourtant importante, n’est presque pas ou pas du tout diffusée au Québec.
La poésie de ce recueil, à l’image de ce qui se fait aux États-Unis, est peu formelle, ce qui la rend accessible. Le langage y est vu « comme un moyen de se rapprocher des choses, non comme une fin en soi ou un outil expérimental », souligne à juste titre Antoine Boisclair dans son introduction. En général, le poème s’installe lentement, « met la table » si l’on peut dire, pour en arriver progressivement à une réflexion souvent métaphysique. Les métaphores aussi se construisent peu à peu, en évoquant sur plusieurs vers un monde parallèle, un autre mode d’être, de penser, une dimension jusqu’alors inconnue où les choses du quotidien s’agencent autrement ; un monde de densité que le poète semble décortiquer pour nous en montrer toute la profondeur. Parfois, comme chez Amy Clampitt ou Charles Wright, la poésie met en scène une sorte de mystique athée quand elle se tourne vers la nature, la terre, le présent muet.
Le terme « contemporain » du sous-titre est en outre pris dans un sens assez large, puisqu’il s’agit de la production des 40 dernières années. Mais les modes esthétiques apparaissent secondaires en regard de propos si inspirants.