Tranquillement, un peu à l’écart du brouhaha du milieu littéraire, comme ses protagonistes, François Blais échafaude l’une des œuvres les plus cohérentes, intelligentes, amères et drôles de la littérature québécoise actuelle. Tranquillement, parce que la réception critique ne suit pas la qualité d’une écriture anthropologique, qui fait du mineur et du quotidien l’objet d’une remise en cause des conventions qui structurent les récits qui nous régissent. Est-ce en raison de son éloignement, de sa mise en scène périphérique, qui fait de Grand-Mère et de la Haute-Mauricie un centre virtuellement lié aux connexions mondiales, est-ce plutôt en raison de son plaidoyer pour une grande culture susceptible de changer les destins individuels, entravée pourtant par une culture populaire toujours vive mais menacée par les pratiques de masse, toujours est-il que ce silence relatif mérite d’être brisé. Et Sam, le nouveau roman de François Blais, a tout pour amener le lecteur dans l’univers marginal et malaisément confortable de l’auteur.
Chacun des titres de Blais ressasse un genre consacré, dont il propose une relecture à partir de ses intérêts formels et thématiques (les formes de l’intimité, la fusion humaine, la confession de l’ennui, la vie palliée par Internet, la quête de sens et de contacts, les périphéries sociales, les permutations de narrateurs). Sam ne fait pas exception, dans la mesure où l’histoire littéraire est maniée avec ludisme. Le narrateur découvre une boîte de livres usagés, de vieux classiques du XIXe siècle québécois, avant de mettre la main sur le manuscrit du journal intime d’une jeune femme qui signe S***. Il va rapidement être happé par celle qui se cache derrière cette lettre initiale, qu’il prénomme Sam, si bien qu’il l’élève au rang de femme idéale et part à sa recherche, entre Saint-François-de-Pique-Dur, Québec et Parent. Pourtant, le roman tient surtout dans le journal de Sam, qui est entièrement retranscrit par le narrateur : s’y trouvent des listes à propos des classements sur les sites pornographiques, des histoires étymologiques sur les municipalités de la région de Louiseville, une vie d’oisiveté, de (non-)consommation, d’ascèse dans la marche, l’alcool et la lecture. Aussi bien dire que c’est la manière d’écrire cette quotidienneté qui marque autant le narrateur que le lecteur ; l’univers au ras des pâquerettes décrit s’étire par la verve, l’humour, l’inventivité de Sam, qui se pose des questions d’une candeur révélatrice. Le narrateur fait l’édition critique du journal intime, établit des liens avec les classiques de la boîte trouvée, annote le texte pour s’affilier à Sam, dans une structure en trois temps qui achoppent les uns par rapport aux autres, s’apparentant à Angeline de Montbrun. Il en résulte une autre grande tranche du quotidien, une forme qui agglomère les peurs, les soupirs, les désarrois, les renoncements, sans que ce portrait sombre confine à l’inaction. Au contraire, l’humour, les détournements narratifs, les empathies créées nous montrent que les récits s’écrivent toujours, que des parts de trouvailles demeurent accessibles. François Blais échappe quoi qu’on en dise au cynisme.