Deux auteurs signent La guerre des Canadiens mais il semble bien que l’étude soit surtout attribuable à Jacques Mathieu : formulée au « je » à plusieurs reprises – celui de l’historien, de toute évidence –, l’« Introduction » précise l’apport de Sophie Imbeault au seul chapitre 5. Quoi qu’il en soit, la démarche est novatrice dans la mesure où l’on s’intéresse ici beaucoup moins aux actions militaires qui se sont déroulées durant la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France qu’au destin des soldats, des civils et de leurs familles, humbles ou nobles, pauvres ou nantis, « dont les souffrances, les tragédies et les rêves brisés sont tombés dans l’oubli ». En puisant principalement dans les registres de l’état civil, même incomplets, dans le dictionnaire généalogique de Cyprien Tanguay et dans le « PRDH » (Programme de démographie historique de l’Université de Montréal), Jacques Mathieu amorce un relevé individualisé des participants et des victimes du conflit.
Les deux premiers chapitres traitent des brisures majeures dans le rythme et le mode de vie de la population : déplacement des civils, séparation des couples, rationnement, tension constante, mariages retardés ou précipités, suspension momentanée des inscriptions de baptêmes et sépultures, surmortalité infantile, inhumations reportées ou communes, résistance des Canadiens même après la chute de Québec, escarmouches, dévastation par le feu due aux Anglais…, telles sont les conséquences de la guerre de la Conquête dans les paroisses bordant le Saint-Laurent, en aval comme en amont de Québec, et jusqu’à Montréal, qui capitula le 8 septembre 1760. Les chapitres 3 et 4 portent sur les miliciens français et canadiens tués au combat de juin 1759 à octobre 1760 et sur le remariage des veuves de soldats ou d’immigrants entre 1760 et 1763. Les deux chapitres suivants touchent au sort des nobles et à celui des petites gens : les premiers eurent à choisir entre demeurer sujets français en quittant la Nouvelle-France ou devenir sujets britanniques en restant au pays ; les seconds sont des personnes qui retournèrent en Europe de leur plein gré ou qui furent amenées comme prisonniers de guerre, laissant leurs familles sans nouvelles. L’une des préoccupations majeures du temps fut le remboursement par le roi de France de l’argent de papier du Canada : lettres de change, monnaie de carte et titres de créance. Un septième et dernier chapitre examine le sort des Acadiens qui ont réussi à éviter la déportation de 1755 en se réfugiant dans la vallée du Saint-Laurent, mais qui ont eu à subir les ravages de l’épidémie de variole dont la virulence atteignit son sommet au cours de l’hiver 1757-1758.
Tableaux à l’appui, les auteurs multiplient les portraits personnalisés des victimes de la guerre en évoquant notamment des cas de familles entières décimées par des mortalités à répétition. Ils soulignent également l’entraide dont la population fit preuve dans l’adversité et la force de la vie qui a continué malgré l’insécurité quotidienne.
En regard de ce bilan positif, il faut faire état de quelques fausses notes. Ainsi, le français n’est pas toujours de la plus grande élégance, il faut bien le dire : « […] la famine sévit si sévèrement à l’Hôtel-Dieu qu’il ne reste ni viande ni bois et de la farine pour un mois, mais sans aucun moyen de s’en procurer » ; « […] il lui reste qu’une fille de 20 ans » ; « […] âgés au début de la soixantaine »… On déplore aussi quelques répétitions, dont celle, triple, de la pendaison de Joseph Nadeau pour cause d’appui aux résistants (p. 34, 58, 93). On découvre également des anomalies typographiques : on indique comme œuvre citée (p. 167, n. 47) un titre qui n’apparaît qu’ultérieurement (p. 201, n. 139) ; une ligne a sauté en page 111 ; les mêmes patronymes n’ont pas toujours la même orthographe… Enfin, si on trouve un fort utile index, l’absence de bibliographie étonne dans cette œuvre publiée chez Septentrion. Sans passer outre à ces lacunes agaçantes, reconnaissons toutefois l’apport des auteurs dans leur révélation du destin des gens qui ont eu à subir les affres de la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France.