Plus connu comme père du célèbre politique Henri Bourassa et gendre de Louis-Joseph Papineau, Napoléon Bourassa (1827-1916) a exercé la profession de peintre en cumulant aussi les fonctions de critique et théoricien de l’art, d’architecte, de sculpteur, de romancier, d’enseignant et de musicien. Dans un essai tiré de sa thèse de doctorat, Anne-Élisabeth Vallée tente de définir et d’évaluer la contribution de l’artiste à la vie culturelle montréalaise dans la deuxième moitié du XIXe siècle au triple point de vue artistique, pédagogique et théorique. Élève du peintre Théophile Hamel et maître lui-même de disciples connus comme Louis-Philippe Hébert, Napoléon Bourassa eut une carrière prolifique et polyvalente qui s’échelonna sur plus de cinquante ans. Sa participation active à l’essor des milieux lettrés francophones par l’entremise d’associations culturelles comme l’Institut canadien-français et le Cabinet de lecture paroissial lui valut de tisser des liens utiles.
La production picturale et sculpturale diversifiée de Napoléon Bourassa comprend des tableaux d’église, des portraits, des bas-reliefs, un buste, des médaillons… Présentée sur carton et demeurée inachevée, son Apothéose de Christophe Colomb fut une toile remarquée à l’Exposition universelle de Paris, en 1867. Premier concepteur de la peinture murale religieuse au Québec, le créateur a laissé des œuvres d’envergure, dont celles de la chapelle de l’Institut Nazareth et de la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes : Anne-Élisabeth Vallée en fait d’ailleurs une description particulièrement minutieuse.
Napoléon Bourassa enseigna aussi dans des établissements comme l’École d’art et de dessin, l’Institut des artisans canadiens et le collège Sainte-Marie. C’est ainsi qu’il prit part au développement du système d’enseignement des arts. Son projet de fondation d’une école des beaux-arts ne se réalisa cependant jamais.
C’est toutefois par l’écriture que le peintre a marqué le plus son époque, de l’avis de l’essayiste. À preuve son roman historique Jacques et Marie, paru d’abord en feuilleton dans un périodique dont l’écrivain fut l’un des membres fondateurs: la Revue canadienne. Le récit de voyage et l’essai politique comptent également parmi ses choix éditoriaux. Ses critiques d’art, surtout, se démarquent nettement des écrits contemporains. Les prises de position y sont claires, intransigeantes même, et ses réflexions sur la nature de l’art et son interprétation, « véritables essais sur l’esthétique et l’histoire de l’art », sont celles d’un érudit dont les nombreuses lectures alimentèrent une pensée où coïncident la recherche du beau idéal et celle de Dieu. Napoléon Bourassa souhaitait d’ailleurs une culture canadienne-française reposant sur la foi catholique et le sentiment nationaliste.
L’essai d’Anne-Élisabeth Vallée constitue certes un jalon important dans l’approfondissement de l’œuvre du peintre québécois. On lui reprochera sans doute quelques défaillances. Par exemple, les romans Charles Guérin et Jean Rivard n’appartiennent pas au genre historique mais au roman de mœurs et de critique sociale. L’Écho du Cabinet de lecture paroissial et la Revue canadienne ne peuvent guère être classées parmi les « revues spécialisées ». Certaines redites gênent de même quelque peu: à au moins neuf reprises, notamment, on lit que l’esthétique du peintre s’inspire des théoriciens du renouveau de l’art chrétien; une seule ligne fait par ailleurs état du musicien que fut Napoléon Bourassa. La démonstration de l’essayiste ne s’en trouve pas diminuée pour autant: l’artiste fut bel et bien un « acteur singulier et majeur de la scène montréalaise au XIXe siècle ».