Dans son dernier roman, Hugo Hamilton aborde une fois de plus les thèmes de l’identité et de l’appartenance. Ceux qui ont lu ses deux récits autobiographiques, Sang impur (prix Femina 2004) et Marin de Dublin (2007), savent qu’il s’y connaît en la matière, lui dont le père, un farouche nationaliste irlandais, interdisait à sa famille de parler anglais à la maison par fidélité patriotique. Dans Comme personne, il reconstitue le passé de Gregor Liedmann, un homme taraudé par l’incertitude de ses origines.
Les premières pages nous plongent dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale, dans un Berlin à feu et à sang que la population tente de fuir par tous les moyens. Dans cette cohue, on suit une jeune femme qui a perdu son fils de trois ans dans un bombardement. Son père, qui l’aide à fuir la ville, lui confie la garde d’un orphelin trouvé sur la route et qu’il croit juif. Il lui suggère d’en faire son fils de substitution. En état de choc, celle-ci accepte de jouer le jeu. Plus tard, l’enfant découvrira la supercherie. À l’adolescence, son sentiment d’aliénation l’amènera à couper les ponts avec son père autoritaire, marqué par son internement dans les camps de prisonniers russes, et sa mère névrosée qui a toujours caché la vérité à son mari sur ce qui s’était passé pendant sa détention.
Redevenu en quelque sorte orphelin, Gregor se marie, fonde à son tour une famille et entreprend une carrière de musicien. Son bonheur domestique prend fin le jour où sa femme apprend que les parents de Gregor sont toujours vivants contrairement à ce qu’il lui avait fait croire. Qui plus est, sa belle-mère avec qui elle a pris contact nie toute histoire d’enfant trouvé et adopté. Se sentant profondément trahi par une épouse qui doute désormais de lui, il quitte femme et enfant et part poursuivre sa carrière de musicien à l’étranger. Le roman s’achève sur une scène de réconciliation et sur la découverte d’un indice qui nous éclaire sur les véritables origines de Gregor, maintenant sexagénaire.
Récit fin et sensible sur l’importance des origines dans la construction d’une identité, rédigé dans un style limpide et d’une grande fluidité, Comme personne ne comble pas pour autant toutes les attentes du lecteur. Le choix qu’a fait Hamilton de priver son héros de vie intérieure y est sans doute pour beaucoup. La tragédie de Gregor nous est en effet toujours décrite dans ses conséquences, jamais dans son essence. Le roman se rapproche donc plus d’une allégorie sur l’invention de soi que du portrait d’un être de chair et de sang. On ne peut certes pas parler de ratage à propos de Comme personne, loin de là, mais on peut regretter le grand roman qu’il aurait pu être.