Le conte nous prend par la main et nous emmène par tous les chemins du monde. Nous y rencontrons de valeureux princes et de délicieuses princesses, des sultans qui s’ennuient et des bergers joyeux, un tsar à barbe blanche, des mégères irascibles, des simplets plus savants que les doctes, une mère et son enfant, un chasseur de rennes ou un maître luthier, des monstres terrifiants qui poursuivent quelque infortuné, des animaux de bon conseil. Voici plus d’une centaine de contes qui nous conduisent vers tous les continents connus et même vers ceux qui n’existent que dans notre tête. Cela se passe on ne sait quand, aux premiers temps de Vieux-Père et de Vieille-Mère, peut-être dans des siècles où les humains étaient proches de la terre; ils la parcouraient alors jusqu’où leurs jambes pouvaient les porter, ils la travaillaient à la force de leurs bras, ils comprenaient le langage des créatures qui la peuplent. Ou bien est-ce en des temps plus proches, aujourd’hui ? Un conteur, qui est toujours un magicien, fait apparaître et disparaître à volonté ces personnages pour nous apprendre ce que nous devrions savoir ou ce que, pour notre malheur, nous avons oublié. Mais le merveilleux est que nous rencontrons homme, femme, jeune garçon ou vieux bonhomme, renard ou oiseau, qui nous remet sur notre route. La créature providentielle nous fait honte de notre aveuglement et de notre bêtise mais toujours nous est secourable. À nous de tirer la leçon : « Choisis seul. Le conte se tait ».
Ces récits traditionnels issus de la vieille Europe, des peuples d’Afrique, d’Asie, des amérindiens, des Inuits, Henri Gougaud les réécrit avec une invention et une verve merveilleuses. Le récit suit sans fioritures une courbe nette et directe. Quelques touches et le décor paraît sous nos yeux avec les personnages. Ils nous sont connus et cependant ne cessent de nous surprendre: ne sommes-nous pas aussi, peu ou prou, chacun d’eux à tour de rôle? C’est un art à la fois naïf et savant. L’écriture court avec une allégresse qui fait notre bonheur.
À la suite des contes, figurent des proverbes africains, turcs ou persans, à moins qu’ils ne soient chinois, des aphorismes, des préceptes, des citations de Montaigne, d’Horace ou de Rûmi, de René Char, du dalaï-lama ou de Woody Allen. Plusieurs signets permettent de les interroger : il suffit de poser notre question et surgit alors tout le savoir que nous ont transmis la parole et les livres, rassemblé selon la fantaisie de Gougaud et cependant ordonné suivant une ligne qui au fil de la lecture se dégage: renonçant aux simagrées, aux déguisements, aux comédies que nous jouons, sourds aux passions et aux folies du monde, éveillons-nous, jugeons par nous-mêmes, et apprenons enfin à vivre selon la raison et l’amour.
Peter Handke dit quelque part : « Si jamais l’humanité perd son conteur, elle perd du coup son enfance ». Ajoutons : « et son très vieil âge » qui apporte – parfois – la sagesse. Ce beau livre de chevet nous enseigne à regagner des yeux et un cœur neufs et à trouver notre bien dans un inépuisable trésor, la mémoire de l’humanité.