Claude Lanzmann est surtout connu pour avoir réalisé le film événement Shoah. Ce qu’on sait moins, c’est qu’il fut toute sa vie journaliste, principalement aux Temps modernes, la revue littéraire, politique et philosophique fondée en 1945 par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, dont il est, aujourd’hui encore, le directeur de rédaction. Ses mémoires retracent le parcours d’un brillant observateur de son époque et rappellent quelques-uns des combats qu’il y a menés.
Claude Lanzmann a quinze ans au moment où éclate la Seconde Guerre mondiale. D’origine juive, conscient de sa singularité sans en être le moins du monde honteux, il s’engage très vite dans la Résistance. Ce sera son école de la peur et, surtout, du courage. L’après-guerre inaugure une période de réapprentissage de la liberté et de bamboches. Mais, très vite, il part étudier la philosophie en Allemagne. De retour à Paris en 1952, il entre dans la mouvance du couple Sartre-de Beauvoir. Il devient rapidement le compagnon de vie de la grande Simone pendant presque une décennie et restera proche d’elle jusqu’à sa mort, en 1986. Cette proximité avec les deux titans de la gauche intellectuelle de l’époque nous ouvre à quelques scènes d’intimité qui les ramènent tous deux à une taille plus humaine : Sartre carburant aux amphétamines ou de Beauvoir en commère un peu ridicule, par exemple.
Durant cette période, cet esprit naturellement proche de toutes les résistances mit sa plume et ses relations au service des luttes pour la décolonisation en Afrique du Nord et, comme tout adhérent de la gauche, accomplit ses pèlerinages dans les « paradis communistes ». Abordant cette plage de sa vie, Lanzmann délaisse le socialisme pour nous raconter avec beaucoup de détails la passion violente qu’il éprouva pour une jeune infirmière lors d’une visite en Corée du Nord. À cet égard, et bien qu’il soit plutôt discret sur sa vie amoureuse, on devine chez lui un grand admirateur et un grand amateur de femmes.
Témoin passionné des combats menés par Israël pour sa survie au cours des années 1960, il se voit proposer par le ministère israélien des Affaires étrangères, en 1973, de réaliser un film sur l’extermination de Juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. C’est le départ de la grande aventure intellectuelle et spirituelle qui mènera douze ans plus tard à la sortie de Shoah. Dans les derniers chapitres de ses mémoires, il raconte les tâtonnements, les embûches et les difficultés qu’il dut affronter pour mener à bien cette entreprise colossale, conduite presque à l’aveugle tant il ignorait le tour que prendrait le produit fini. On sait aujourd’hui quel monument il a dressé à la mémoire de ses semblables morts dans les camps nazis.
Au sortir de la lecture du Lièvre de Patagonie, on ne peut qu’admirer le courage de l’homme et la constance dans l’engagement de cet intellectuel qui « très tôt [ ] s’est senti responsable de tous ». D’autant plus que des lièvres pareils, ça ne court pas les rues.