Bon conteur, chercheur aussi rigoureux qu’empathique, l’auteur excelle à redonner sens et vie à des tranches peu familières de l’histoire. Dans le passé, cela lui a permis, par exemple, de relier des mondes apparemment aussi étrangers l’un à l’autre que l’Égypte et le Bas-Canada (Amina et le mamelouk blanc, L’Interligne, 1998). Cette fois, sa sonde ramène à la surface et offre à la mémoire les tensions de la Première Guerre mondiale. Comme elle le fera en 1942 à propos de la conscription, l’opinion québécoise se démarque du courant canadien : elle perçoit comme une guerre impériale ce que le Canada anglophone juge de son ressort. Reflets des contradictions sociales et politiques, deux jumeaux entreprennent leur parcours avec des sentiments opposés à propos du conflit. D’accord pour chercher l’intérêt québécois, ils choisissent des chemins opposés pour y parvenir. Assez semblables pour aimer la même femme, Armand et Lionel diffèrent pourtant au point d’aboutir l’un dans l’armée, l’autre au Devoir que vient de fonder Henri Bourassa. Le terme de frères ennemis doit quand même quelque chose à l’inflation ; jamais ne disparaîtra leur amitié.
Les sources qu’utilise Jean Mohsen Fahmy constituent une assise inattaquable. Le lecteur qui contesterait qu’un officier québécois ait pu ordonner l’exécution d’un déserteur de son régiment renoncera à ses doutes en lisant le Journal de guerre (1915-1918) de Thomas-Louis Tremblay (Athéna, 2006). Ce que le roman de Fahmy fait vivre à ce remarquable meneur d’hommes, le militaire lui-même le raconte avec douleur. Oui, il a expédié certains de ses hommes au peloton. De la même manière, la prise de position d’Olivar Asselin par rapport à la conscription ne peut être contestée, tant elle est fermement établie par Hélène Pelletier-Baillargeon (Olivar Asselin, T. II, Le volontaire, Fides, 2001). Proche de Bourassa et journaliste au Devoir, Asselin se porta volontaire et obtint du gouvernement fédéral la création d’un régiment regroupant les francophones et les encadrant dans leur langue. Ces sources intelligemment choisies, Fahmy les exploite avec finesse, culture, audace. Il y ajoute son sens de la gradation, sa compréhension d’une époque aux interdits nombreux. Comme dans ses récits précédents, il crée et insère dans le tissu historique tel et tel personnage qu’ignore l’histoire officielle, mais qui semblent si vrais qu’ils ont forcément existé. Ainsi, le beau personnage de la grand-mère Thérèse. Elle préserve, renforce ou recrée les liens entre les frères, elle leur réapprend à se parler, elle calme les impatiences et les fébrilités, elle fait accepter des mœurs peu conformes aux exigences de l’époque. Un récit fidèle à l’histoire et humanisé par un auteur attentif aux valeurs discrètes.