Bien plus que l’art de manier la métaphore ou une quelconque maîtrise du rythme, la poésie, lorsqu’elle entrevoit et laisse entrevoir ses hauts sommets, n’est plus qu’une question de souffle. Celui, fort et fier, du vent, du vide, qui fait claquer entre elles les vertèbres du monde, fait vibrer l’ossature même du langage. En rééditant Le désert maintenant, certes l’un des plus beaux recueils d’Yves Préfontaine, les Écrits des Forges nous donnent l’occasion de nous rappeler que, depuis plus d’un demi-siècle à présent, l’œuvre du poète se tient et se maintient là-haut, à cette altitude quasi insoutenable où la beauté est à couper le souffle.
À la fois d’une tendresse et d’une violence inouïes, la parole, chez Préfontaine, n’est jamais complaisante. Elle s’abandonne au vertige de l’intelligence qui la tend, faisant d’elle cette corde raide où marcher, penser, exister se font au risque de sa vie : « J’ai tant crié que j’ai crevé l’écho même de l’écho ». Imposante par sa seule justesse, se gardant de céder à la tentation du bavardage, préférant porter son propre désert, quitte à s’y perdre, la voix tremble, s’ébranle jusqu’au point de rupture et, de là, parle : « Je n’étancherai ma soif qu’à la fin du soleil ». Libre surtout de toutes ces enjolivures, de toutes ces fioritures que l’on nomme effets de style, cette voix, traversée du désert qui la porte autant qu’elle le porte, plutôt que de s’attacher au déjà connu, s’en remet entièrement à l’Inconnu comme unique chance d’advenir autrement.
« Ainsi soit-il, dirait quelqu’un d’autre. / Mais je dis : / Ainsi ne devrait-il pas être. » Aussi s’agit-il, avec Préfontaine, de résister encore. De résister à ce qui est, en maintenant vivante chacune des possibilités de ce qui n’est pas encore, c’est-à-dire en se maintenant soi-même vivant, aux aguets, encore et toujours à la seule hauteur du vent (sa furie, son attrait), face à lui, et contre lui s’il le faut. Car il importe – on l’oublie trop souvent – de savoir s’emporter, de savoir se laisser emporter également, là « où rien enfin ne ressemble à rien ». Telle est l’exigence de la poésie. Tel est surtout le devoir du vivant.