« Par quel mot commencer ? » De quel droit commenter une parole si honnête, si nue qu’elle semble n’appeler qu’à l’étreinte ? Comment parler de cette voix-là, de cette vie-là, La vie basse, sans risquer de la heurter, de la blesser ? Peut-être en se tenant à hauteur de murmure, comme dans le seul écho de la voix du poète qui lui prête son nom, sa main, son oreille.
Car il faut parler de ce premier recueil de Mathieu Croisetière. Il le faut absolument. Embrasser cette vie lasse et d’autant plus belle qu’elle n’a plus rien à perdre, qu’elle se perd tout entière à s’énoncer. Bercer l’infinie tristesse qui l’habite, la hante, lui donne la beauté fragile de ce qui, sur le point de s’effondrer, tremble comme jamais auparavant. Enfin, s’abandonner à cette image qui nous vient soudain – qui, à son tour, vient nous hanter : l’image du funambule qui, au-dessus du vide, dans le vide, poursuit sa route, tenant lui-même sa propre corde, la déroulant lentement, puis y déposant, pas à pas, sa petite survie.
« La poésie creuse dans nos chairs / le vide qui fait que l’on avance. » Toute véritable démarche langagière n’en arrive-t-elle d’ailleurs pas là ? À une sorte de parler vide qui s’en remet entièrement au langage alors même qu’il n’y a plus rien à en tirer, plus rien à en attendre que la déception même de parler, parler, parler encore ? À ce langage dépris de ses certitudes, de ses prétentions, devenant enfin véritable communication, c’est-à-dire bruissement, râle et souffle d’une solitude assumée s’adressant à celle de tous et de tout, à cette mortalité qu’avec tous et tout nous partageons.
Oui, s’il faut lire La vie basse, c’est d’abord par devoir – le devoir de faire écho à celui de l’auteur : « Devoir écrire / quand il n’y a rien ». Devoir tirer de sa fatigue d’être au monde les mots qui ne nous donneront strictement rien, mais sauront au moins recréer le vide, ce peu de vide où se blottir un autre jour, une autre nuit. Survivre encore, pour le meilleur, le pire ? Les deux ? Qu’importe ? Vivre, mourir, jouir ou souffrir : pourvu que cela ait lieu dans la justesse, l’accord entre le mot qui vient et le corps qu’il dévaste, le silence qui à coup sûr viendra et le corps qui, même dévasté, continue de tenir.