Depuis l’excellent collectif La chanson dans tous ses états paru en 1987, les éditions Triptyque sont rapidement devenus les spécialistes des ouvrages sur la chanson populaire au Québec, avec une quarantaine de titres parus dans la collection « Chanson/Musique ». Le présent recueil s’adresse à un lectorat érudit et regroupe huit essais inédits sur la chanson engagée actuelle, française et québécoise, à la suite d’un colloque tenu en 2005.
Contre toute attente, le texte qui propose le plus d’avenues de réflexion est l’introduction de l’ouvrage, rédigée par Lise Bizzoni et Cécile Prévost-Thomas. Comment la chanson peut-elle être à la fois engagée et populaire ? Est-ce que le statut de chanteur engagé ne serait qu’une étiquette artificielle ? Les deux auteures évoquent les cas de Léo Ferré et de Jean Ferrat, qui seraient devenus des artistes « engagés » à partir du moment où ils ont adapté des poèmes de Louis Aragon, considéré comme un écrivain communiste.
Les deux premiers chapitres, à teneur musicologique, sont les plus instructifs ; ils abordent le folklore québécois du XXe siècle, avec l’étude des débuts de la production phonographique à Montréal (Sandra Bouliane) et l’analyse de l’entreprise de La Bonne chanson, de l’abbé Gadbois (par Luc Bellemare). Plus loin, Dany Saint-Laurent se penche sur les rapports ambivalents entre rap et poésie dans les chansons du groupe Loco Locass. Enfin, Lise Bizzoni étudie l’énonciation de la violence dans les textes de certains groupes français, comme Zebda et Oneyed Jack, issus des banlieues multiethniques de Paris, qui se réapproprient des chants de la Résistance pour les adapter à la France des années 1990.
Tous les articles sont bien documentés et les références sont appropriées. En revanche, l’analyse reste généralement trop souvent en surface, à la limite du simple commentaire. Les auteurs de ces études, pourtant universitaires, négligent de faire appel à un appareil critique lors de leur examen de ces chansons engagées. La vérité n’émane pas forcément d’une chanson engagée sous le simple prétexte qu’elle s’oppose à l’ordre établi. Même les artistes engagés peuvent se tromper ou commettre des erreurs de jugement. Défendre une noble cause ou résister à une hypothétique oppression ne crée pas automatiquement de l’art, surtout dans le cas du rap. Selon nous, il y manque trop souvent la beauté.