« On peut devenir fou, en lisant Paulhan, amoureux ou bien lecteur », nous avertit d’emblée Bernard Baillaud, responsable de cette édition des Récits de Jean Paulhan (1884-1968). Les éditions Gallimard viennent d’entreprendre la réédition des Œuvres complètes de Paulhan, en consacrant le premier volume à ses « romans ». Les guillemets sont utilisés dans le bandeau publicitaire dont Gallimard a l’habitude de parer les titres vedettes de sa collection « Blanche », et avouons qu’ils sont de mise, car les récits paulhaniens ressemblent très peu à des romans. Textes courts et elliptiques, sans personnages ni situations ou intrigues étoffés au sens habituel, ce sont des narrations centrées sur de légers désordres, de petites négligences, de menues failles ouvertes dans la réalité. La douzaine de « romans » réunis ici nous entraînent dans l’univers incomparable des récits paulhaniens, depuis la mystérieuse féerie enfantine Lalie jusqu’aux singulières Sornettes, fort originales d’un point de vue narratif, sans oublier le Guerrier appliqué, en lice pour le Goncourt 1917.
Ce n’est pas la première fois que les récits de Paulhan sont rassemblés en volume. Le premier tome des œuvres complètes de Paulhan en 1966 au Cercle du livre précieux avait lui aussi débuté par les récits, un choix éditorial qui sema l’étonnement parmi la presse littéraire. Si on connaissait Paulhan écrivain, on le tenait surtout pour un critique, et il faut bien admettre que c’est le genre de l’essai qui domine l’œuvre paulhanienne. Aussi découvre-t-on ici un Paulhan mal connu, parce que auteur d’une œuvre narrative longtemps peu éditée et diffusée, et jusqu’à ce jour peu lue. Il est difficile de prédire si cette œuvre trouvera ou non son lecteur, bien qu’elle le mérite amplement. Une chose est certaine : en lisant ces récits, qui sont, pour reprendre une observation d’Hubert Juin, « l’amorce d’un roman impossible » (Les Lettres françaises, 16 juin 1966), le lecteur sentira rapidement qu’il se trouve en présence d’un monument d’une nature tout à fait à part.