Subtilement rattachées les unes aux autres ou se permettant un vol entièrement autonome, les vingt nouvelles que propose ici Michel St-Denis dépeignent ou évoquent un univers où rares sont les échanges cordiaux ou même épidermiques entre les humains, leurs semblables et la vie. Non seulement la solitude est partout, mais elle s’enferme dans diverses formes d’incommunicabilité. On ne rejoint pas les autres, on vit sans eux comme ils vivent sans nous, et cela est irréversible. On ne se demande pas si cela est injuste, on constate qu’ainsi vont les choses. Tel s’installe sur un banc en espérant attirer quelques regards, mais la mort s’intéresse à cette présence avant que le fassent les vivants. Il suffit que meure le chien bien-aimé pour que la jeune fille renonce à tirer sa misérable famille de sa somnolence. Le suicidaire rate tout, y compris son suicide ; douloureuse ironie, il meurt au moment où il allait se raccrocher à la vie. Un stylo rouge passe sans logique ni plan d’une main à l’autre, dans un long carambolage où les passages du témoin se succèdent sans s’expliquer. L’inventive madame Mongeau, qui fera surface dans une autre nouvelle, jure avoir vu, de ses yeux vu, son voisin massacrer sa famille à coups de hache. L’enquête innocentera le voisin qui deviendra ermite plutôt que de garder contact avec ses semblables : « […] juste au moment où un civilisé le débusqua, l’ermite se laissa absorber par la terre ». Dans la courte nouvelle éponyme, c’est une très jeune existence qui déclare : « Je m’abîme à l’intérieur du vide ». Au moins une exception, cependant : de la peur de l’enfant naît la maturité.
Un univers clos, par conséquent, fragmenté en d’innombrables isolements, peut-être absurde au sens qu’Albert Camus donnait à ce terme. Peu ou pas de plaintes, car la présence humaine est quantité négligeable. Tout cela a-t-il un sens ? Chacun, laisse entendre la dernière nouvelle, est tenté de le rechercher. « Mais le Grand Ensemble a-t-il besoin que tu lui réserves un sens ? » L’écriture, malgré quelques calembours complaisants, correspond aux exigences d’un regard lucide.