Cette singulière fiction autobiographique, saluée comme un chef-d’œuvre par Antonio Tabucchi, Muñoz Molina et Philip Roth, s’est vu décerner le prix Médicis étranger 2006. Sa singularité réside surtout dans sa perspective narrative éclatée. Dès les toutes premières pages, Norman Manea transporte son lecteur dans un Paradis pas si édénique que ça : Manhattan, fourmilière capitaliste où l’auteur, tantôt au « il », tantôt au « je » (il maintiendra jusqu’à la fin ce balancier de la voix narrative), fait état de sa « mort » survenue neuf ans plus tôt, lors de son exil de Roumanie. L’écrivain, ingénieur de formation, a senti sa vie menacée après qu’un article eut fait de lui une persona non grata. Il y mettait en cause Mircea Eliade pour ses relations avec la Garde de fer dans les années 1930. D’ailleurs, par son titre, Le retour du hooligan – « hooligan » pour « dissident, exclu » – fait référence à un roman de 1934 du « premier » Eliade, nationaliste et antisémite, et à la cinglante riposte que lui fit Mihail Sebastian. Romancier de la mémoire plutôt que mémorialiste, Manea raconte non pas un seul, mais deux retours. Le premier, imaginaire, s’appuie sur « [l]e passé comme fiction ». Il englobe différents épisodes marquants d’une vie soumise aux tribulations de l’Histoire sous le joug de Hitler, de Staline, de Ceaucescu ou du sort : la déportation en Transnistrie à seulement cinq ans, l’instauration de l’« Utopie rouge » et de la « dictature du prolétariat », la détention du père de l’écrivain au camp socialiste de Periprava à la suite d’un procès truqué, le séisme du 4 mars 1977, la catastrophe de Tchernobyl Le second retour (« La postérité »), bien réel quant à lui, a lieu en 1997, quand Manea accompagne le recteur du Bard College, où il est professeur et écrivain en résidence, à une tournée de conférences en Roumanie. Depuis douze ans, le visage de la Roumanie a beaucoup changé. La mère de Manea est morte et le communisme s’est (ou semble s’être) effondré. En plus de quatre cents pages, Manea évoque sans tendresse ni ressentiment la « mascarade communiste » et les aberrations qu’elle a produites en des temps où l’État roumain se croyait l’unique propriétaire des individus, des biens et des initiatives. En résulte un livre percutant.
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