« Les gens disent qu’on naît innocent, mais ce n’est pas vrai. On hérite de toutes sortes de choses auxquelles on ne peut rien. On hérite de son identité, de son histoire, comme d’une tache de vin indélébile. » Ainsi débute Le marin de Dublin deHugo Hamilton, récit de son lent affranchissement d’un lourd héritage familial.
Nous sommes à Dublin dans les années 1960. La vie des O’hUrmoltaigh (Hamilton en gaélique) n’a pas changé depuis que nous avons fait leur connaissance dans Sang impur(prix Femina, 2004), première partie des chroniques d’enfance d’Hugo Hamilton. Le père continue de poursuivre sa chimère d’une Irlande indépendante, débarrassée de ses envahisseurs britanniques. Surtout, il continue de tyranniser sa famille en imposant toutes sortes de règles dont l’une interdit de parler anglais sous son toit. En sous-main, la mère, d’origine allemande, essaie d’atténuer les rigueurs de la discipline paternelle, de temporiser quand les conflits éclatent et de maintenir un semblant de bon sens quand tout semble vouloir aller de travers.
Père et mère s’entendent toutefois pour transmettre à leurs enfants la mémoire de leur propre histoire et les enseignements qu’ils en ont tirés. Surtout, la mère, qui a connu les horreurs nazies pendant la guerre, veille à ce qu’ils ne deviennent pas des « Mitläufer », des moutons comme l’ont été les Allemands qui ont suivi Hitler. Dans cet univers hyper réglementé, voilà la règle qui prime sur toutes les autres. À travers son histoire d’adolescent tourmenté, Hugo Hamilton brosse également le portrait d’une Irlande rude et âpre, déchirée par les conflits religieux et les nationalismes exacerbés.
Malgré l’apparente lourdeur du propos, on rit et on sourit souvent à lire l’Ausbildung de ce jeune marin de Dublin. Ce qui empêche le récit de tourner au mélodrame ou, pire, au règlement de compte, c’est la fraîcheur du regard que porte Hugo Hamilton sur le monde qui l’entoure et sa capacité de restituer cette pureté dans son écriture. Le marin de Dublin est un livre émouvant, bouleversant même, dont la musique continue de nous habiter longtemps après avoir tourné la dernière la page.