Rose et Julie se disputent l’amour du même homme. Elles ont une « beauté féroce » et font partie de ces femmes qui, pour capter le désir masculin, utilisent la technologie, se tournant tantôt vers les salles de gym, tantôt vers la chirurgie. Le roman confronte, d’un côté, la vision d’un corps idéal et parfait et, de l’autre, le corps morcelé que l’on soumet au scalpel, dont les parties constituent une obsession tant chez celle qui transforme un par un les attributs particuliers de son physique que chez l’homme dans ses préférences sexuelles.
Pour camper son histoire, Nelly Arcan a choisi d’adopter une écriture plus narrative sans pour autant faire disparaître les traits qui caractérisent ses livres précédents. Délaissant le récit autofictionnel pour aborder un genre plus propice à la multiplication des points de vue, l’écrivaine, paradoxalement, met en scène des femmes qui portent le même masque, évoluant dans une société marchande où l’on cherche à dépasser l’autre en l’imitant au lieu de cultiver son unicité. Le passage du « je » à la troisième personne, dans son œuvre, contribue à faire état d’un conformisme, d’un ordre universel qui dépasse l’individu. Malgré leurs personnalités et leurs attitudes différentes (l’un des deux personnages féminins, par exemple, considère les choses avec plus de recul), Rose et Julie se ressemblent beaucoup. Elles incarnent toutes deux la « femme-vulve » et le sexe qui transcende leur corps, sous la plume de l’auteure, devient un symbole dans lequel le regard masculin est enfermé. Celui que l’on tente de séduire est finalement pris dans une structure où, dans un élan de surenchère, l’on va au-devant de ses désirs et de ses fantasmes. À ciel ouvert parvient à illustrer cette idée avec des images fortes. Tout en nous rappelant la symbolique de Georges Bataille, le roman aboutit à un dévoilement, à une fin où les choses sont portées à leur paroxysme.
Nelly Arcan, de cette manière, fait évoluer son style. Malgré cette tendance au retour du même, on perçoit maintenant, chez l’écrivaine, une volonté de faire contrepoids à cette structure circulaire qui subsiste dans son dernier livre, une volonté de modifier son approche de l’écriture qui, déjà, a été signalée par l’appellation « roman ».