Le proverbe devra évoluer : les moines bénédictins ne détiennent plus le championnat de la patience. Ils cèdent ce titre aux quelque 380 journalistes qui ont rédigé leurs chroniques depuis le Parlement. Cette minutie fournit une assise indiscutable à certaines conclusions qui, sans elle, provoqueraient peut-être l’incrédulité. À titre d’exemple, l’étonnante neutralité des chroniques pendant une époque de profonds clivages partisans au sein de la presse. Il est, en tout cas, paradoxal que des médias politiquement caractérisés aient systématiquement accouché de chroniques parlementaires fidèles aux déclarations.
Jocelyn Saint-Pierre rend un hommage chaleureux à ces générations de journalistes que les mœurs parlementaires condamnaient à des conditions de travail carrément inhumaines. Malgré les déménagements nombreux qui les ont déplacés de tel racoin à tel perchoir, les courriéristes parlementaires furent toujours à l’étroit, mal équipés, bousculés par les visiteurs et même oubliés par les architectes. Leurs horaires évoquent les pires travaux forcés puisque le journaliste devait entendre la totalité des débats avant de passer à la rédaction de ses articles. Heureusement, l’imagination vint à la rescousse. Très tôt, en effet, les chroniqueurs transformèrent leur marathon en course à relais. Ils se relayaient de quart d’heure en quart d’heure ou de demi-heure en demi-heure et mettaient leurs notes en commun. Cela se produisait de préférence entre des journaux de sensibilité politique apparentée, mais Saint-Pierre démontre que les journalistes n’hésitaient pas à collaborer avec leurs confrères de médias farouchement opposés. D’où la neutralité.
Ce premier tome d’une histoire éclairante et nécessaire se termine sur une dizaine de courtes biographies de correspondants émérites, parmi lesquels on retrouve Jules Fournier, Olivar Asselin, Damase Potvin, Hector Fabre, Louis Dupire, Abel Vineberg… Souhaitons qu’à ce survol de quatre-ving-dix ans de pratique journalistique s’ajoute aussitôt que possible un bilan du plus récent demi-siècle. Ne bousculons quand même pas un bénédictin…