Pour qu’un livre fondé sur l’entrevue soit réussi, questions et réponses doivent obéir à des impératifs apparentés : rigueur chez celui qui interroge, transparence de la part de l’interviewé. Un questionnaire mal préparé laissera dans l’ombre des enjeux essentiels ; trop de restrictions mentales de la part du témoin rendra l’échange stérile ou trompeur. Dans le cas présent, il y a hiatus entre les interrogations et les réactions. D’emblée, c’est vers l’ex-ambassadeur Raymond Chrétien qu’il faut diriger les reproches. Le questionnaire est bien construit et l’interviewer est renseigné et poli, tandis que les réponses provoquent d’abord l’étonnement, puis l’impatience. L’alternative est sans échappatoire : ou bien Raymond Chrétien sait qu’il déforme les faits et cela n’est pas glorieux, ou bien il ignore la réalité et cela laisse planer des doutes sur sa compétence. En l’occurrence, le plus probable est que l’homme aime la langue de bois et se fait une conception contestable de la loyauté politique.
Qu’on en juge. Raymond Chrétien affirme qu’il est plus facile à la Norvège qu’au Canada de s’adonner à d’utiles rapprochements diplomatiques « peut-être à cause de la très grande ouverture de la démocratie canadienne ». Qu’Oslo se le tienne pour dit. À propos des relations israélo-palestiniennes, Raymond Chrétien déclare que « le Canada a toujours voulu jouer les médiateurs dans ce conflit, ce qui l’a amené à maintenir une position neutre. C’était le cas auparavant et ça l’est encore aujourd’hui ». Belle neutralité qui a permis au Canada de regarder ailleurs quand Israël a pilonné le Liban, y tuant des centaines de civils. Raymond Chrétien a raison de ne pas décrire le Canada comme un pays neutre, mais il dénature la réalité quand il présente comme une preuve de notre non-neutralité les missions de paix des Casques bleus.
Fidèle porte-parole d’un gouvernement canadien qu’il a loyalement servi pendant 38 ans, Raymond Chrétien s’en tient, aujourd’hui encore, aux affirmations attendues : l’Iran s’immisce dans les affaires des pays voisins, etc. On n’attendait pas la candeur, mais la pertinence des questions aurait mérité autre chose que des clichés.