Comment expliquer qu’une présence aussi marquante que celle des Sulpiciens à Montréal soit aussi mal connue ? Cet impressionnant collectif présente plusieurs réponses. D’une part, les « messieurs » de Saint-Sulpice ne sont pas gens de spectacles ni de confidences. D’autre part, venus de Paris, ils se sont souvent comportés comme des métropolitains étrangers aux aspirations de leurs ouailles. À cela s’ajoute le fait, imputable à un individu plus qu’au groupe, que la puissante congrégation fut durement frappée dans sa stabilité économique et contrainte de réviser ses ambitions à la baisse. Quand il faut lancer un SOS aux pouvoirs politiques, on adopte forcément un ton autre que celui du dominateur. L’histoire se montre d’ailleurs cruelle pour Saint-Sulpice : elle accélère la recherche identitaire des Québécois au moment même où les « messieurs de Paris » sont menacés de faillite. La conjoncture ajoutant son poids à celui de la culture sulpicienne, la discrétion s’est imposée.
Les heurts entre le gallicanisme sulpicien et les propensions ultramontaines du Québec ne doivent pas occulter l’ampleur de la tâche accomplie en trois siècles et demi (1657-2007). Si, par exemple, le contrôle sulpicien sur les lectures a toujours sévi autant qu’il le pouvait, le clergé local doit néanmoins à la congrégation une formation plus poussée, de même que le public montréalais lui est redevable de bibliothèques de plus en plus importantes et d’un réseau largement déployé de sociétés d’entraide. Les besoins québécois ont d’ailleurs élargi notablement le champ traditionnel des activités sulpiciennes. En effet, au lieu de s’en tenir à la formation des prêtres comme le souhaitait le fondateur Olier, les Sulpiciens ont assumé en terre québécoise les tâches rattachées à la structure paroissiale et des responsabilités au palier collégial de l’enseignement. Que les Sulpiciens venus de Paris aient systématiquement privilégié une conception sévère et verticale de la religion et qu’ils aient traité en inférieurs les Sulpiciens québécois et l’ensemble des citoyens d’ici, cela se manifeste de mille façons. Que certains d’entre eux aient gravement indisposé les Autochtones, cela aussi est vérifiable. En revanche, les Sulpiciens furent pour beaucoup dans la transition de Montréal vers un statut de ville moderne.
Travail minutieux de la part des chercheurs auxquels la congrégation a donné plein accès aux archives, documents embarrassants y compris. On y apprend, au passage, en esquissant un sourire, que le Sulpicien Olivier Maurault a payé à Paul-Émile Borduas « deux ans d’études (1928-1930) aux Ateliers d’art sacré de Paris »… C’était avant le Refus global.