Au premier coup d’œil, Les autres d’Alice Ferney est la promesse d’un bon divertissement. Par le biais d’une approche originale en trois scènes, l’auteure propose une réflexion préoccupante : qui sommes-nous pour les autres ?
Lors de l’anniversaire de son jeune frère Théo, Neils lui offre le jeu de société « Personnages et caractères » dont le but est de faire tomber les masques qui interviennent dans les relations sociales. Les invités acceptent avec réticence de se livrer au jeu. Questions indiscrètes et provocantes chambardent rapidement l’harmonie du petit groupe. Le jeu prépare le terrain à des aveux, des crises et de nombreux questionnements existentiels. Le roman propose cette même scène selon trois points de vue différents.
Une première partie fait comprendre le déroulement de la scène au gré des pensées des personnages. Rapidement, les cartes sont mises sur table alors que les caractères, les ambiguïtés et, surtout, les secrets de chacun laissent peu de doute sur la bisbille que causera le jeu.
Entièrement dialoguée, la deuxième partie donne toute la texture au roman. La portée de la réflexion de l’auteure s’y fait largement sentir : les choses pensées sont rarement les choses dites. Que l’on prenne à témoin cette pensée de Fleur : « Aussitôt, j’ai pensé : Mais je ne veux pas jouer à ça ! Vous êtes fous ! C’est vraiment un truc à semer la zizanie entre les amis » alors qu’elle se contente de dire : « Je ne comprends déjà plus rien ! »
Le troisième point de vue est celui d’un narrateur omniscient. Malheureusement, cette dernière partie se veut davantage une explication, voire une justification, des événements qu’un nouveau point de vue. Et c’est là que le bât blesse car le lecteur, au terme des deux premières parties, comprend déjà les motivations des personnages. À propos de l’intervention de Fleur, le narrateur explique : « Mais elle sourit à Théo et n’osa pas formuler son refus, faisant mine de ne rien comprendre à ce qu’on attendrait d’elle. [ ] Elle dit : je ne comprends déjà plus rien ! Et cela signifiait qu’elle avait au contraire très bien deviné : Nous allons nous dire des vacheries, je n’ai pas la moindre envie que nous nous disputions ce soir ».
Alice Ferney exploite avec habileté une vérité sociale mais pousse l’idée peut-être un peu trop loin, trop longtemps. Il n’en demeure pas moins que l’exercice d’écriture en trois points de vue s’avère fort divertissant.