Après Passeport pour l’Iran, publié en 2006, Marie-Eve Martel récidive en 2007 avec un second récit de voyage, cette fois« au pays des purs » (signification du mot « Pakistan » en ourdou). Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette jeune auteure qui se dit « écrivaine de voyage » n’a pas peur de prendre des risques pour aller vérifier par elle-même si « l’image néfaste » que projettent les médias au sujet de certains pays ne gagnerait pas à être nuancée. Afin d’entrer en contact direct avec « l’Autre », elle n’hésite pas à s’aventurer en solitaire hors des sentiers battus (en terre tribale ou en région désertique ou peu fréquentée par les touristes, notamment à Umarkot), à voyager en autorickshaw, en camionnette-taxi ou dans des bus bondés de Pakistanais, à porter des vêtements (le shalwar kameez) qui lui permettent de se fondre plus facilement dans le décor, à assister tantôt à un mariage pakistanais à Karachi, tantôt à une « soirée soufie » à Lahore, à profiter de chaque rencontre pour en apprendre un peu plus sur les mSurs de ses hôtes. Ultimement, elle espère ainsi « obtenir un portrait plus juste » tout en étant consciente, nous dit-elle, que ce portrait « demeure [s]a propre vérité issue de [s]on expérience unique ».
Certes, la jeune auteure démontre bien à quel point la réalité politique, religieuse et culturelle pakistanaise, alliant « modernité et traditionalisme », est nettement plus complexe que l’image simplificatrice qu’en donnent bien souvent les médias. Qui plus est, elle réussit à remettre en question certaines idées reçues en montrant notamment que les Pakistanais « sont en général plus généreux, honnêtes et pacifiques que ne le pensent les Occidentaux ». En fait, on trouve souvent ce que l’on cherche et Marie-Eve Martel ne cache pas qu’elle tente de voir le peuple pakistanais « sous un jour positif », ce qui ne l’empêche toutefois pas de dénoncer entre autres la violence faite aux femmes au nom d’un « soi-disant honneur familial ». Force est de reconnaître cependant que la voyageuse, qui souhaite donner à voir la réalité à travers ses propres yeux, ne parvient pas toujours à faire abstraction d’un savoir « médiatisé », comme en témoignent les allusions un peu serviles à son Lonely Planet et les citations d’auteurs de source seconde (Robert Young Pelton, Jill Worrall, Amehd Rashid, Bernard-Henri Lévy, etc.) qui émaillent son récit. Comme quoi « l’Autre » semble difficile à représenter sans renvoyer à une vision préconçue, fût-ce même sur le mode de la négation. Comme quoi aussi le plus grand défi de l’écrivain voyageur ne consiste pas tant à voyager autrement que de parvenir à voir et à représenter les choses autrement, à se réapproprier son propre regard.