Le ton semblera délibérément désinvolte. Une truculente méfiance, pour ne pas dire un cynisme débridé, s’affiche, en effet, à l’égard du Québec des décennies 1940 et 1950 et de la plupart de ses activités. Le député n’est qu’un figurant auquel on n’accorde que la moitié d’un bureau. Les mSurs locales sont intimidées par la médisance janséniste. Rares sont les humains et les comportements qui suscitent l’admiration et virulentes sont les ambitions des potentats de tout calibre. On se résigne au silence, on subit l’hypocrisie, on plie devant les arrogances cléricales ou partisanes. Cela, toutefois, n’est que surface et avant-scène. Oui, le duplessisme règne et récompense plutôt la servilité que la franchise et l’audace. Oui, cela étonne et même mystifie. « Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir dans la politique pour qu’un homme plutôt sain d’esprit s’accroche au pouvoir, même s’il sait qu’il ne l’exercera jamais que nominalement et qu’il n’infléchira jamais en quinze ans la plus insignifiante législation de son parti ? »
Déprimant ? Cela le serait si Bertrand B. Leblanc se contentait de ces apparences. Ce n’est pas le cas. L’auteur, magnifiquement documenté sur maints aspects du Québec de l’après-guerre, ne dresse ce décor décourageant que pour mieux faire ressortir la capacité collective de rebondissement et, surtout, la lucidité de personnages trop peu connus. Ceux-là, avec ou sans le « cheuf », préparaient déjà pour le Québec des services publics adaptés aux besoins. Ainsi, Leblanc rend à Albert Rioux, à Laurent Barré et à ceux qui, dès ces années, inventèrent pour la paysannerie québécoise un crédit agricole défini pour elle et non pour les plaines de l’Ouest. De la même manière, la vie municipale apprit à déboulonner les réputations surfaites et à neutraliser le pouvoir des « grenouilles de bénitier ». Tout cela est vivant, enfiévré, drôle, pénétrant. Grande noirceur ? Peut-être, mais traversée de lumineux entêtements.