« Moi, je suis un géopoéticien nomade », dit Kenneth White au fantôme de Salomon Ibn Gabriol, un intellectuel né en Espagne au XIe siècle. Qu’est-ce donc que ce drôle de métier où l’on parle aux morts ?
Des figures aussi éloignées qu’Héraclite, Hölderlin ou Henry David Thoreau ont été des sources d’inspiration pour le futur géopoéticien. En fait, tous les penseurs qui, comme eux, ont cherché dans la terre, ou sur la terre, des signes qui donnent sens à l’existence humaine. En 1978, Kenneth White rassemblait les multiples manifestations de cette recherche sous le terme « géopoétique ». Depuis, une trentaines de livres, récits de voyage, poésies et essais, forment ce qu’il est convenu d’appeler une cartographie intellectuelle. Dans Le rôdeur des confins, White célèbre le génie philosophique qui s’est manifesté au cours des siècles antérieurs dans les zones les plus reculées du monde. Son voyage, qui va de la Scandinavie, des forêts d’Amérique du Nord, en passant par le Portugal, la Corse, l’Espagne, le Maroc jusqu’aux petites îles du Pacifique, est d’abord une quête des racines du savoir avant d’être le lieu d’une rencontre avec l’autre. Si autre il y a, il s’incarne en personnages surnaturels comme le penseur espagnol ou en « indignes » représentants de ce qu’est devenue la race humaine. À ce chapitre, les Québécois rencontrés paraîtront un brin typés, au service d’un discours sur l’assimilation des peuples. Peut-être à cause de sa connaissance de l’histoire des peuples qu’il visite, le géopoéticien tombe rarement dans un exotisme de pacotille. Bon, White ne suit pas toujours les tracés impossibles et on le découvrira en véritable touriste sur les dunes de Merzouga, dans l’erg Chebbi, au sud du Maroc. Sinon, son parcours, même dans les lieux touristiques, suit les traces laissées par ses prédécesseurs : livres anciens, ruines mythiques, peintures, tombeaux,… Il s’intéresse aussi à l’aspect minéral de la terre, ce qui le mènera en haut de falaises abruptes ou dans des boutiques de pierres, au cœur de médinas. Évidemment, autant de connaissances soumises au lecteur mettent un temps à être digérées. C’est un livre pour les contemplatifs surtout, moins pour les voyageurs qui courent après leur ombre.